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Cette chronique de l’écrivain Louis Hamelin

Place à cet écrivain québécois.

Le quotidien Le Devoir (Montréal) publiait, le 16 novembre 2019, ce texte de l’écrivain Louis Hamelin qui fut un véritable coup de pouce pour mon ouvrage Histoires naturelles.

Voici ce texte.

Réensauvagement

Les classes aisées nord-américaines ont hérité d’une curieuse lubie de la gentry anglaise : le beau gazon. Par esprit d’imitation, les classes moyennes ont suivi. L’herbe devint toujours verte chez le voisin. Il y a derrière l’obsession collective pour les pelouses bien rases, homogènes et entretenues à coups de pesticides et d’engrais chimiques un fantasme de pureté qui donne un peu froid dans le dos. Sans compter que les pick-up des entrepreneurs paysagers qui font leur foin de cette manie figurent parmi les pires délinquants motorisés des quartiers résidentiels où ils foncent dans un fracas d’outils le long des rues peuplées de petites familles.

Parfois, très rarement, l’intelligence prévaut. Au bord de certaines de nos autoroutes, les épervières, marguerites, épilobes et autres fleurs sauvages ont désormais remplacé les employés du ministère des Transports payés pour faire des rides de tracteur aux frais du contribuable. Plus beau, plus économique, tout le monde est content ou presque : car à l’abri de cette végétation revivifiée, les maudits chevreuils vont maintenant nous sauter en pleine face ! Le vieux contentieux qui oppose les descendants d’un peuple de défricheurs au monde végétal est encore bien loin d’être réglé, et pour un certain type d’automobilistes, il n’y a vraiment rien de pire que d’être obligé de faire attention.

Il existe un beau mot en américain pour décrire des pratiques comme celle qui refleurit nos terre-pleins autoroutiers : rewilding. Le réensauvagement. Le plus beau, c’est que vous n’avez pas absolument besoin de construire des viaducs réservés à la faune sauvage (wildlife crossings), ou de réintroduire les loups dans le parc de Yellowstone pour participer à ce grand mouvement continental. Pourquoi ça ne commencerait pas là, dans votre cour ?

C’est le genre d’épiphanie qui, en 2015, a visité l’historien Jean Provencher lorsque la « grange-étable » de sa maison de campagne s’est effondrée sous le poids de la glace. « Cet accident m’a fait comprendre que j’entretenais, à grands efforts et à grand bruit, une sorte de terrain de golf devant la grange, autour de la maison et dans mon vieux verger de trente-cinq pommiers. Et si je laissais toute la place à la nature pour un certain temps ? Immense surprise : libéré de la domestication, un tout nouveau monde se propose, peuplé entre autres de fleurs et d’insectes que je n’avais pas encore remarqués. »

La lecture de ces Histoires naturelles (Del Busso éditeur, 2019) nous convainc aisément que l’historien que nous connaissions déjà se double d’un naturaliste, et pas des moindres puisque, dans ces pages, il s’affirme comme un des plus éminents disciples contemporains de H. D. Thoreau au Québec. Comme l’auteur de Walden, Provencher a compris que tout est dans le regard et que le véritable amoureux de la nature est celui qui voyage autour de chez lui pour découvrir ce qui, depuis toujours, lui pendait au bout du nez. Pas besoin d’un safari ornithologique tout compris au Costa Rica et des émissions de carbone qui vont avec.

« Je prends le temps de marcher, de regarder. J’observe, je prends note… Surtout, j’apprends. Et ça n’a de cesse. »

Au bois Beckett, l’autre jour, je regardais un pic chevelu escalader un tronc en y donnant des coups de bec espacés, machinaux et comme distraits. Il n’était pas en train de forer, et j’ai soudain compris que le bec du pic ne lui sert pas qu’à creuser des trous pour harponner les larves dont il se nourrit. Il est aussi la sonde grâce à laquelle, selon la sonorité que rend le bois, il peut repérer les textures et les compositions des habitats de ses proies. Je fréquente les pics-bois depuis au-delà d’un demi-siècle, et ça venait seulement de cliquer dans ma tête de bois.

Cette idée de la nature comme une école permanente, c’est bien sûr Thoreau, et c’est aussi Jean Provencher. Nous entraînant à sa suite dans la petite jungle qu’est devenue sa cour, il nous introduit dans l’intimité de la belle-dame, du sphinx gracieux, de la cicindèle, du cercope écumeux et de l’argiope aurentia, magnifique arachnide dont il tient le compte saisonnier des victimes entoilées. Il est savant, bien documenté, mais surtout attentif et incroyablement empathique à l’endroit de toutes les créatures. Avec lui, on cesse d’avoir peur des guêpes. Voici ce qu’il dit du bourdon : « Son corps vibre en permanence, on le perçoit au toucher, comme chez l’écureuil roux. »

Même lorsqu’il s’appuie sur des écrits scientifiques, Provencher est d’abord un naturaliste à la manière des Audubon et Thoreau, un observateur d’une sensibilité exacerbée pour qui comprendre est le contraire d’enfermer dans une définition. De ce survenant des oiseaux qu’est le tarin des pins, il écrit : « Il brise les codes. Il défie les lois communes. Il déstabilise. » Et l’auteur de ces histoires naturelles, comme un grand artiste, renouvelle notre regard.

 

Merci beaucoup, Louis Hamelin. Je continue à avoir beaucoup d’échos de cet écrit.

On trouvera cette chronique sur le site internet du journal Le Devoir à l’adresse suivante.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Hélène #

    Bonjour monsieur Provencher

    Commentaires tout à fait élogieux à votre égard et à votre sensibilité en ce qui concerne la nature et les animaux vous le méritez bien c’est extraordinaire je suis contente pour vous.
    Hélène Hé’

    8 décembre 2019
  2. Jean Provencher #

    Merci beaucoup, chère Madame Hélène. Je rajouterais que Louis Hamelin est bien généreux à mon égard. Beau dimanche à Vous.

    8 décembre 2019

Trackbacks & Pingbacks

  1. Je voulais vous remercier avant que l’année ne se termine | Les Quatre Saisons

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