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La grenouille qui préfère vivre dans les bois, la Grenouille des bois (Rana sylvatica)

Voici une petite manifestation de vie fort attachante, qui a su, au fil de milliers d’années, trouver toutes les manières d’assurer sa présence.

Plusieurs caractéristiques la distinguent des quelques autres grenouilles. Seule à disposer d’un masque noir et d’une longue bande dorsale bien claire, on la retrouve même jusque dans le cercle arctique [Cook : 89]. Et dans l’est du continent nord-américain, contrairement à ses consœurs, elle préfère vivre dans les sous-bois humides plutôt que dans l’eau.

Chaque printemps, elle regagne la mare longeant le chemin de mon lieu qui mène à la route. Des mâles y sont les premiers, allant de chants, d’appels à l’accouplement, un croassement grave, souvent rapide [Cook : 88]. Bientôt, des femelles les accompagnent. Les étreintes sont de courte durée. Le mâle monte sur la femelle qui peut pondre jusqu’à 2000 œufs, aussitôt fertilisés par le sperme masculin. Sitôt l’accouplement terminé, les grenouilles, chacune de leur côté, sortent de l’eau pour gagner les sous-bois humides, tout près.

Les œufs forment une sorte de masse gélatineuse, qui les protège d’une couche de minuscules algues vertes qui échangent avec l’embryon de l’oxygène contre du bioxide de carbone [Melançon : 65]. Elle permet aussi que les basses températures ne les tuent pas, mais retardent simplement leur croissance.

La mare éphémère, qui ne dure que quelques semaines, protège les œufs des poissons se trouvant ailleurs, plutôt dans les lacs et les étangs. Et bientôt apparaissent les têtards. Mais ils n’ont guère de temps pour achever leur vie de têtards et devenir des grenouilles adultes. Si l’absence de poissons les aide, seul un printemps vraiment pluvieux peut les sauver. J’ai remarqué que les pluies abondantes, les grands orages les rendent heureux, car ils s’activent davantage. L’eau de la mare s’en trouve renouvelée et davantage oxygénée. Chose certaine, une génitrice ne peut compter que sur un pareil temps pour assurer la suite. Autrement, le soleil boit l’eau de la mare et tous les têtards meurent dans un milieu asséché. Il m’est arrivé d’accourir avec des seaux d’eau pour prolonger leur vie. Mais comment lutter contre le soleil ! En 2017, tout s’est terminé le 13 juin.

On pourrait s’en prendre à ces magnifiques grenouilles de pondre dans un pareil endroit. Mais allez savoir à quelle époque remonte cette manière d’assurer la vie et pourquoi ces petites bêtes ont choisi de semblables lieux avant de tourner le dos à l’eau par la suite. Chose certaine, elles ont trouvé chez moi une terre à demeure depuis de nombreuses années.

Redonnons la parole au naturaliste Claude Melançon, qui sait se faire lyrique. « Le sol humide des sous-bois lui convient parfaitement. Les futaies de hêtres l’attirent, mais on la trouve aussi dans les forêts d’essences variées et même sous les conifères. […] Ses yeux, en relief sur une tête fine, sont splendides. Grands, leur pupille noire, ovale, est entourée d’un iris brillant, couleur d’or. Leur partie inférieure, noyée dans le sombre des joues, est d’un brun foncé. Deux pierres fines présentées sur un coussin de velours marron. […] Harmonisé avec les sous-bois, souvent pris pour une feuille que soulève le vent, cet Amphibien est trop peu connu. En plus d’admirer sa grâce, son agilité et surtout les deux bijoux enchassés dans sa tête fine, on voudra entendre ronronner doucement dans la main qui le retient captif ce génie bienfaisant des sous-bois humides. »

La Grenouille des bois peut vivre de 4 à 5 ans. Lorsqu’arrive l’automne, elle sait l’hiver prochain, et se trouve bientôt un amas de mousse, un lit de feuilles ou le tronc d’un arbre renversé sous lequel elle se glisse pour hiverner. Mais comment traverser une pareille saison ? Depuis quelques années, des chercheurs s’intéressent à elle.

En 2013, on a découvert qu’elle emmagasine un glycogène dans son foie, une sorte de sucre qui est distribué dans toutes les cellules lorsque la température s’abaisse [Bossy]. Puis, récemment, on apprend qu’elle cesse d’uriner, utilisant son urée comme antigel. Jusqu’en Alaska où on la retrouve, elle peut supporter « des températures de -12 voire -18 degrés Celsius » sans qu’elle n’en soit autrement gênée [Emmanuel].

Voilà comment cette petite grenouille en est arrivée, de mille et une façons, à se maintenir dans ce monde.

Le 7 janvier 1887, l’hebdomadaire de Joliette L’Étoile du Nord, écrivait : La grenouille sur une terre détruit plus d’insectes que la chaux et le vert de Paris. Elle vaut une pioche.

 

Cette page devrait apparaître dans un prochain livre.

Bossy, Delphine, « La grenouille des bois gelée reste en vie grâce à son foie », Futura Planète, 11 février 2017 (https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/zoologie-grenouille-bois-gelee-reste-vie-grace-son-foie-48496/)

Cook, Francis R., Introduction aux Amphibiens et Reptiles du Canada, Ottawa, Musée national des sciences naturelles et Musées nationaux du Canada, 1984.

Emmanuel, Guillet, « La grenouille qui se préserve du froid grâce à son urine », Sciences et Avenir, 6 mai 2018 (https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/la-grenouille-qui-se-preserve-du-froid-grace-a-son-urine_123603).

Melançon, Claude, Inconnus et méconnus, Amphibiens et Reptiles de la Province de Québec, Québec, Société zoologique de Québec, 1950.

La mare

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