Un écrivain épris de la part sauvage de la nature québécoise
Voilà deux semaines, je rencontrais chez un bouquiniste un jeune lecteur à la véritable recherche d’Arthur Buies (1840-1901). Il connaissait son journal satirique, La Lanterne, publié de septembre 1868 à mars 1869, mais il espérait quelque chose de plus consistant.
Je m’empressai de lui dire que la grande biographie d’Arthur Buies est encore à venir et que s’il voulait percer une partie du secret de cet homme, il lui fallait mettre la main sur ses chroniques.
Buies n’aimait rien de mieux que de rédiger des chroniques. Et il n’est jamais aussi grand que lorsqu’il traite de la part sauvage de la grande nature québécoise. Ses mots coulent de source.
En 1898, le quotidien Le Soleil à Québec (Buies habite à Québec) lui donne carte blanche pour la rédaction d’une chronique en vue de son numéro de Noël. Extraits.
Dès le départ, on sent bien Buies heureux.
Il y aura bientôt vingt ans, vers la fin de la belle saison, je partais pour un de ces voyages de fantaisie, comme j’en faisais souvent alors, par pure distraction, sans objet, simplement pour briser la monotonie de mes jours qui se suivaient avec une accablante ressemblance, ne différant entre eux que par le degré d’ennui qu’ils m’apportaient.
Vous savez sans doute que nous habitons déjà un pays monotone. Quand les mœurs et les usages anglais qui déjà pénètrent sensiblement les nôtres, qui s’y infiltrent à grosses gouttes, les auront complètement envahis, alors notre pays sera simplement insupportable ; la race supérieure aura imprimé son cachet définitif sur toute la surface de l’Amérique, et ce sera beau à voir, surtout le dimanche !….
Voici Buies en voyage. Il prend le bateau à Québec. Bientôt le voilà à Tadoussac.
Le soir tombait avec ses longues tentes muettes lorsque nous arrivâmes à Tadoussac. En même temps que la nuit poussait rapidement ses ombres et ses épaisses cohortes de noirs nuages, apparut subitement, derrière la crête des hautes montagnes du Saguenay, l’énorme face de la lune qui venait disputer l’espace aux ténèbres et qui montait lentement, majestueuse et sereine, avec l’assurance de la force qui accomplit un devoir. Quelque temps on la vit combattre avec la cime des arbres et les sombres masses des rochers que l’ombre grossissait épouvantablement à nos yeux ; enfin elle apparut libre, dans un ciel inondé de ses clartés maternelles, semblable à un gros lustre retenu dans l’immensité par une main invisible.
Le bateau mène Arthur Buies à Chicoutimi, où, là, il emprunte une voiture à cheval jusqu’à Roberval. À cet endroit, partant pour Péribonka, le voilà dans un canot avec Horace Dumais et un canotier. Mais l’orage les accueille sur le lac Saint-Jean.
Le vent, soufflant de terre, nous poussait au large,. Horace et le canotier se courbèrent sur leurs avirons et prirent en face l’assaillant. Une lutte s’engagea, muette, acharnée, indomptable, le vent déployant son aveugle fureur et l’homme sa volonté et sa détermination de le vaincre. Les grands arbres de la rive, élancés, droits, courbaient leur tête sous la charge impétueuse de l’ouragan, mais la relevaient aussitôt plus altière, comme un défi, et semblaient applaudir à chaque coup d’aviron porté comme une riposte, la résistance inattendue de ce frêle esquif, de cette planche d’écorce que la volonté de deux hommes maintenait en équilibre sur un gouffre orageux. […]
Nous l’atteignîmes [l’embouchure de la Péribonka] avant la tombée du jour et nous nous préparâmes à y passer la nuit, sous un ciel dont l’ouragan avait chassé les souillures et qu’entr’ouvrait sa voûte profonde, où les étoiles s’empressaient déjà de prendre place pour ne pas manquer de nous saluer au passage.
Arthur Buies mit du temps avant de s’endormir.
Ce fut une nuit comme je n’en avais jamais passé une sur terre. De la féérie tout le temps ; des images et des visions comme il en doit apparaître dans quelque monde fantastique inconnu. […]
Plongé dans une extase qui m’entraînait bien au-delà de l’atmosphère de la terre, mais qui, cependant, décuplait l’activité de mes sensations, je recevais avec une étrange netteté l’écho des moindres petits bruits dont se compose cet immense concert qui s’appelle une forêt. Le lac, lui, venait murmurer lentement et doucement sur la grève qui ressemblait à un oreiller attendant qu’il se reposât sur elle et s’y endormit. De temps en temps, un vent s’élevait tout à coup et passait en se gonflant, en grossissant sa voix, puis, aussi rapidement, tout se taisait de nouveau, et j’admirais cette discipline merveilleuse de la nature pliée sous l’autorité de lois discrètes, invisibles, impénétrables et cependant toutes puissantes.
Le Soleil (Québec), 17 décembre 1898.
Arthur Buies dira que ce voyage lui a laissé « d’impénétrables souvenirs ».
Nous avons fait sur ce site même une large place à Arthur Buies.
Bonjour Jean,
J’ai bien aimé cette chronique d’Arthur Buies pour sa description merveilleuse du ciel, de la forêt et de toute la nature environnante.
Merci pour ce beau partage.
Bonne journée
Salut à toi, cher Claude. Cet homme aimait tellement se retrouver en pleine nature et la nommer, la dire.
Merci de ton mot.