Voici maintenant le carnaval
La tradition au Québec, fort simple dans ce cas-ci, veut que le carnaval débute le lendemain des Rois pour se terminer le soir du mardi gras à minuit. L’édition présente du Carnaval de Québec commencée en 1955 respectera cette tradition. Mais, à compter de 1972, on ne tiendra plus compte du calendrier grégorien pour fixer les dates de tenue de ce carnaval. Celui-ci, par exemple, se terminera un dimanche soir et non plus le soir du mardi gras.
Si, ici, de l’autre côté du monde, au nord-est de l’Amérique du Nord, on fera le choix de cette période pour un carnaval, un temps de visites, de veillées, de voyagements, car l’hiver nous faisait de bien belles routes, il n’en sera pas de même en France. Le folkloriste et ethnologue français Claude Gaignebet (1938-2012) affirme qu’on sera amené à rechercher les éléments carnavalesques des fêtes chrétiennes de la seconde quinzaine de janvier et du début de février.
Prenons l’exemple de saint Vincent, patron des vignerons, fêté le 22 janvier. Ses confréries sont de nos jours, en Berry, associées à celles de la Saint-Blaise (vignerons et cultivateurs). Quelle boisson plus carnavalesque que le vin ! C’est un tonneau que chevauche le Carnaval de Bruegel, et Gargantua, dès sa naissance, invite à boire, cri ouï de tout le pays de Beusse et de Bibarois : le royaume des bons buveurs.
Saint Antoine, le 17 janvier, est depuis longtemps associé au porc, son fidèle compagnon. N’est-ce pas à des dates voisines que l’on procédait autrefois à la tuerie du cochon, l’animal « gras » par excellence.
[À noter que le calendrier populaire québécois ne correspond pas du tout ici à celui de France. Au Québec, les « grandes boucheries » se faisaient au plus tard le 8 décembre.]
Du 25 janvier, jour de la Conversion de saint Paul, au 2 ou 3 février, Chandeleur et Saint-Blaise, on affirme dans plusieurs régions de France que se déroule la bataille des vents. Le vent vainqueur au 3 février soufflera toute l’année. La même chose se dit du vent qui souffle sur le feu de Carnaval. […]
[À ma connaissance, on ne trouve le long du Saint-Laurent aucune trace de cette « bataille des vents ».]
Et le folkloriste de conclure à ce sujet :
La méthode qui consiste à comparer les rites carnavalesques échelonnés sur une vingtaine de jours, et les vies des saints de cette période, se révèle féconde. Sous ce nouvel éclairage, toutes les implications de fêtes dont on n’a trop souvent retenu que l’aspect grotesque ou anecdotique apparaissent alors.
On voit bien qu’il n’est pas toujours facile d’établir des concordances entre les calendriers populaires français et québécois. Dans le cas du calendrier québécois, il faudra parfois carrément en inventer un nouveau, davantage collé au climat, par exemple, qui se distinguait donc alors de celui de France.
Claude Gaignebet et Marie-Claude Florentin, Le Carnaval, Essai de mythologie populaire, Paris, Payot, 1974, p. 57-59.