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Clément Marchand est parti à cent ans, comme un vieil arbre

Cet homme, journaliste, éditeur, poète, essayiste et conteur, fut l’ami de Félix Leclerc, d’Alphonse Piché, de mon ami Gérald Godin, de Suzanne Paradis, d’Alexis Klimov et de tant d’autres.

Peut-être qu’en son temps, je ne sais, les modernes sont allés à son égard du qualificatif réducteur d’« écrivain régionaliste », car il aimait rendre hommage aux siens qui l’ont précédé. Mais il n’empêche que son grand livre — Courriers de villages — est un chef-d’œuvre.

De premiers extraits paraissent dans Les œuvres d’aujourd’hui, recueil littéraire trimestriel no 1, Montréal, Éditions de L’A. C.-F., 1937. Nous y voici.

Une voix sonne.

L’entends-tu, voyageur au cœur las, qui chemines à l’affût des ombres ancestrales ? L’entends-tu, pèlerin des routes citadines dont le pas veut encore fouler l’humus natal ?

Une voix des anciens jours émeut le calme de la ferme. C’est comme si soudain les choses renaissaient et vibraient sous leur housse terne, comme si ce cher vieux « bien » reprenait son bon visage de soleil.

Une voix sonne clair dans le tranquille crépuscule. On dirait qu’une soudaine activité, une vie pleine de relief, va remplacer le sommeil. Une voix des anciens jours… Et l’étable falotte aux carreaux de soleil et les granges qu’autrefois gonflaient les orges mûres rendent soudain l’accent de vie des anciens jours. Est-ce la chanson de Firmin qu’on engageait pour le temps des labours ? Serait-ce enfin le réveil des choses mortes ? N’entends-tu pas grincer les portes et crier les poulies et gémir les citernes, et s’animer soudain toute la ferme ?

Une voix gaillarde sonne.

Sur la paille des litières, les bœufs roux s’endorment. Le jeune bétail secoue encore les ridelles. Il m’a semblé voir le profil d’une présence dans la clarté confuse. Ai-je reconnu un visage ? Crépuscule. Les ombres s’embusquent dans la cour et les carreaux des étables falottes s’éteignent au son de cette voix qui chantonne dans la tombée du soir d’automne.

L’entends-tu bien ? C’est la voix pensive de l’autrefois, la même qui charmait les soirs de ton enfance, la même qui semait par tout l’ancien domaine la sereine émotion des cantilènes. Elle sonne tandis qu’en le creux des ornières le sang des soirs s’égoutte. Et voici qu’avec les ombres, sur la route, un mendiant se traîne, le même qui jadis — après de longs chemins parcourus dans le noir — heurtait le seuil de la ferme, le soir, le seuil, feutré d’ennui et qu’ont terni les deuils.

 

Le livre de Clément Marchand, Courriers des villages, fut publié à Trois-Rivières, aux Éditions du Bien public, en 1942.

La photographie de l’homme de lettres trifluvien parue dans l’édition du 23 avril 2013 du quotidien Le Nouvelliste est d’Émilie O’Connor.

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