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De « La Source grecque »

La grande Simone Weil, l’exigeante Simone Weil s’est beaucoup abreuvée à la Grèce antique.

Ouvrière en 1936, elle écrit à son patron, le directeur de l’usine :

Je me demandais avec inquiétude comment j’arriverais à prendre sur moi d’écrire en me soumettant à des limites imposées, car il s’agit évidemment de vous faire de la prose bien sage, autant que j’en suis capable…

Heureusement il m’est revenu à la mémoire un vieux projet qui me tient vivement à cœur, celui de rendre les chefs-d’œuvre de la poésie grecque (que j’aime passionnément) accessibles aux masses populaires. J’ai senti, l’an dernier, que la grande poésie grecque serait cent fois plus proche du peuple, s’il pouvait la connaître, que la littérature française classique et moderne.

Plongeons. En page 73, sans aucune forme de présentation, apparaît un poème d’un certain Méléagre que Simone Weil a traduit.

Printemps 

L’hiver venteux loin de notre air a disparu ;

Pourpre sourit, portant des fleurs, ô printemps, ta saison ;

La terre sombre tendrement s’est recouverte d’herbe ;

Aux arbres dans leur sève, nouvelle est la chevelure de feuilles.

Ceux dont la douce boisson, nourricière, est la rosée de l’aurore,

Les prés se rient, pendant que s’ouvre la rose.

Il a joie dans sa flûte, le berger parmi les monts qui chante,

Et les blancs chevreaux font plaisir au pâtre des chèvres.

Déjà naviguent sur les vastes flots les matelots

Au souffle sans péril du Zéphyr qui des voiles fait des seins.

Déjà l’on crie Evohé pour celui qui porte les raisins, Dionysos ;

Des fleurs en grappe couronnent les cheveux, des fleurs de lierre.

Aux travaux savants celles qui naissent des bœufs, les abeilles,

Si beaux, sont occupées ; dans leur ruche posées elles travaillent

La blanche et fraîche et poreuse beauté de la cire.

Partout les oiseaux, race à la claire voie, chantent,

Les alcyons sur les flots, les hirondelles autour des toits,

Les cygnes au bord du fleuve et sous le bois le rossignol.

Si donc dans les forêts la joie vient au feuillage et si la terre fleurit,

Si siffle le berger, si s’ébattent les laineux troupeaux,

Si les matelots naviguent, si Dionysos mène les chœurs,

Si chantent les êtres ailés, si travaillent les abeilles,

Ne doit-il pas aussi, le poète, au printemps bien chanter ?

 

Simone Weil, La Source grecque, Paris, Gallimard, collection Espoir nrf fondée par Albert Camus, 1953, p. 73s.

Nous reviendrons à cet ouvrage de Simone Weil.

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