Rostand, l’auteur de Cyrano de Bergerac, fête son entrée à l’Académie française
Edmond Rostand dramatique, après sa réception parmi les Immortels de l’Académie française, a donné un dîner à quelques-uns de ses admirateurs.
Sarah Bernhardt occupait la place d’honneur, revêtue d’une robe de dentelle de tulle, d’une teinte très pâle, qui était la même qu’elle portait pendant la cérémonie de l’après-midi.
Au dessert, quand le champagne a commencé à couler, Sarah s’est levée et les convives ont fait silence. Prenant une coupe de champagne, elle s’est écrié : « Ainsi d’après la coutume ancienne, je verse une libation au divin poète », et, ce disant, elle s’est versé la coupe de champagne sur la tête. Elle souriait pendant que le vin coulait de ses cheveux sur ses épaules et sur sa robe.
« Mais votre robe va être perdue » se sont écriés les convives. À quoi Sarah a répondu superbement : « J’avais l’intention de ne la porter qu’aujourd’hui ».
Il est bien ennuyant que la beauté du geste de Sarah ait été gâtée par un incident comique, mais nul ne pouvait la prévoir. Les deux petits garçons de M. Rostand, âgés de 6 et 8 ans, s’empressèrent d’accomplir les rites religieux dont la Grande Sarah venait de leur donner un exemple si impressionnant, et se versèrent sur la tête leurs coupes remplies de champagne coupé d’eau de seltz, avec un enthousiasme et une libéralité tels que leurs libations eurent un effet désastreux pour leurs cols de dentelle et leurs blouses, qui furent tellement trempés qu’on dut emmener les enfants et les mettre au lit immédiatement.
Le Canada (Montréal), 25 juin 1903.