Retour sur « La Nouvelle Alliance »
Ce livre publié en 1979 a bien traversé le temps, nous l’évoquions. Mais avant de le quitter, il y a encore matière à réflexion que nous laissent les auteurs. Voici quelques phrases, quelques passages.
Les auteurs concluent leur introduction par ces mots :
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Nous aurions aimé appeler ce livre « Le temps retrouvé ». Car la nature à laquelle notre science s’adresse aujourd’hui n’est plus celle qu’un temps invariant et répétitif suffisait à décrire, ni non plus celle dont une fonction monotone, croissante ou décroissante, résumait l’évolution.
Nous explorons désormais une nature aux évolutions multiples et divergentes, qui nous donne à penser non pas un temps aux dépens des autres mais la coexistence de temps irréductiblement différents et articulés. Deux positions affrontées. Newton dans les Principia : » Le temps absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de par sa propre nature, coule uniformément sans relation à rien d’extérieur, et d’un autre nom est appelé Durée. » Bergson, dans L’Évolution créatrice : « L’Univers dure. Plus nous approfondirons la nature du temps, plus nous comprendrons que durée signifie invention, création de formes, élaboration continue de l’absolument nouveau. » Désormais, ces deux dimensions s’articulent au lieu de s’exclure. Le temps aujourd’hui retrouvé, c’est aussi le temps qui ne parle plus de solitude, mais de l’alliance de l’homme avec la nature qu’il décrit. […]
Et suivent quelques-uns de ces mots trouvés par la suite.
Nous avons découvert que l’irréversibilité joue dans la nature un rôle constructif puisqu’elle permet des processus d’organisation spontanée. […]
Sans entrer dans aucun détail à propos du système de [Alfred North] Whitehead, précisons simplement qu’il met à jour la solidarité entre une philosophie de la relation — aucun élément de la nature n’est support permanent de relations changeantes, chacun tire son identité de ses relations avec les autres — et une philosophie du devenir innovant — chaque existant unifie dans le processus de sa genèse la multiplicité qui constitue le monde, et ajoute à cette multiplicité un ensemble supplémentaire de relations. À la naissance de chaque entité nouvelle, « the many become one and are increased by one ». […]
La dissipation d’énergie et de matière — généralement associée aux idées de perte de rendement et d’évolution vers le désordre — devient, loin de l’équilibre, source d’ordre ; la dissipation est à l’origine de ce qu’on peut bien appeler de nouveaux états de la matière. […]
Les amibes acrasiales (Dictyostelium discoideum), lorsque le milieu où elles vivent et se multiplient devient pauvre en matière nutritives, subissent une transformation spectaculaire. De population de cellules isolées, elles se rassemblent en une masse comportant plusieurs dizaines de milliers de cellules. Ce « pseudo-plasmodium » se différencie alors, tout en changeant de forme : une tige se constitue, comprenant à peu près le tiers des cellules, destinées à périr au cours du processus ; cette tige soutient une masse ronde, d’où s’éparpillera, ultérieurement, une nouvelle population de spores prêtes, si elles entrent en contact avec un milieu nutritif satisfaisant, à produire une colonie d’amibes. Il s’agit donc d’un cas assez spectaculaire d’adaptation au milieu… […]
L’être vivant n’est pas partout également vivant.
Ce livre a fort bien vieilli.
Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, La Nouvelle Alliance, Métamorphose de la science, Paris, Éditions Gallimard nrf, 1979, 305 pages.