Toujours, le temps qu’il fait monopolise les conversations
En 1903, voilà des jours et des jours sans pluie. Certains sont heureux, d’autres, pas du tout.
Cette température idéale fait la joie des citadins, des oisifs, des promeneurs et promeneuses qui ont de nouvelles toilettes fraîches et élégantes à lancer, à étaler. Le gaz, la tulle et les toiles transparentes sont à l’ordre du jour dans le monde féminin, tandis que chez le sexe pas beau, les chemisettes (shirt-waists) dont on a tant parlé, il n’y a pas cent ans, sont sur le point d’envahir l’asphalte. […]
Les fermiers, les maraîchers et les jardiniers soupirent comme des phoques après la pluie libératrice. Il n’est pas tombé une goutte d’eau depuis un mois et c’est par tout le pays une désolante sécheresse.
L’été dernier fut pluvieux, trop pluvieux pour certaines cultures et voilà que celui-ci commence aussi mal, en sens contraire. Voilà presque que le printemps s’achève et que plusieurs fleurs et fruits printaniers n’ont pas encore fait leur apparition.
Les jardins sont rachitiques et les pelouses ont une verdure sale, des gazons courts et clairsemés en certains endroits. Les arbres eux-mêmes sont poussiéreux et auraient besoin d’un bienfaisant lavage. On trouve même quelques petites feuilles à peine formées, qu’une sénilité précoce a fait sécher.
Certaines de nos rues sont des Saharas en miniature. ; elles sont tapissées d’une poussière fine et brûlante à l’heure du midi, que le moindre vent fait tourbillonner dans les airs et pénétrer partout, mais surtout dans les yeux.
Pour combattre ces simouns, nous avons les arrosoirs municipaux que, par le passé, nous apercevions de temps à autre à la veille des orages le long de nos rues les moins poussiéreuses ; depuis une quinzaine de jours, on arrose un peu plus souvent, à cause des nombreuses plaintes reçues, mais les arroseurs trouvent qu’ils sont encombrés d’ouvrage ! ! […]
La chaleur qu’on n’attendait pas si vite, enlève le goût du travail, et plusieurs de nos hommes d’affaires songent déjà à ralentir leur activité. Des familles commencent déjà à boucler leurs malles et l’on est sur le point de partir pour les villégiatures et les stations balnéaires où, dès le mois de juin, si la chaleur continue, il sera difficile de trouver de la place.
La chaleur semble vouloir continuer encore quelques jours, car la lune était toute rouge, hier soir.
Nous recevons des nouvelles de la température, un peu partout.
Le Canada (Montréal), 13 mai 1903.