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Tiens donc, une légende maintenant liée à la Sainte-Catherine (second de deux billets)

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Nous sommes à cheminer dans la légende À la Sainte-Catherine, du jeune écrivain Charles-Marie Ducharme (1864-1890) disparu trop rapidement. Il n’avait qu’entrebaillé la porte de son grand talent d’écrivain.

Colette, vieille fille, avait annoncé que cette Sainte-Catherine était sa dernière comme célibataire, jurant qu’elle préférait épouser le diable plutôt que de coiffer Sainte-Catherine. En soirée. tout le village, invité, se rend chez elle pour constater que sa masure est devenu un palace. Colette est belle sans bon sens, une véritable Armide. Tous les jeunes gars voudraient danser avec elle. Mais les anciens n’aiment pas ça, ils craignent que tout cela tourne mal.

Lorsque le sirop, dont on entendait crépiter les bulles odoriférantes dans un immense vase doré, fut suffisamment cuit, et qu’on voulut l’étirer, les invités furent témoins d’un nouveau phénomène; de couleur d’or qu’elle était, la tire prit les teintes les plus variées, personne n’en avait de la même couleur : ici, elle était rose, orange, blanche, là, violette, azurée, pourprée, et on aurait dit du nectar, tant elle était délicieuse au goût. Aussi fut-elle regardée comme la meilleure qui ait jamais été faite dans le village. On s’imagine si les invités lui firent honneur en la croquant sommairement; ils ne pouvaient s’en rassasier, tant elle était excellente, et ils en auraient bien mangé jusqu’au matin, si un orchestre invisible, qui attaquait un quadrille à faire danser les pierres, n’était venu leur rappeler qu’il leur fallait faire trêve à la gourmandise.

Aussitôt, tout le monde fut sur pied, personne ne pouvait résister au charme, à l’entraînement de ces accords si fantasques et si guillerets. Vieux comme jeunes, infirmes comme non infirmes, tous se mirent à danser avec un entrain, une légèreté dont ils se croyaient incapables.

Contre l’attente générale, on vit Colette danser seule : le cercle se maintenait autour d’elle, et aucun danseur ne parvenait à l’approcher.

Soudain, on entendit sonner minuit.

Colette pâlit.

Au dernier coup du cadran, un grand tumulte se fit dans la salle. Les massifs se mirent en mouvement et joignirent la danse; les marguerites et les boutons d’or de la voûte qui semblait maintenant embrasée tombèrent comme une pluie de feu; les lumières jusque là si étincelantes et si blanches, prirent les teintes d’un brasier; et il en fut de même de tout ce qu’il y avait dans la salle : fleurs, colonnes, massifs, tentures, tout semblait flamboyer.

On dansait, dansait toujours, de plus en plus vite, et, malgré la frayeur des invités qui auraient voulu se voir à cent lieues, personne ne put quitter le tourbillon rapide qui entraînait les couples malgré eux, et il fallut danser et danser encore, sans qu’on pût prévoir comment tout cela finirait. Puis on vit les massifs se réunir et entourer Colette, lui former un berceau de feuillages et de rameaux pourpres, sous lequel s’éleva bientôt deux trônes : un personnage tout de rouge habillé, les yeux flamboyants, doté de deux cornes et d’une queue velue, occupait l’un, l’autre était sans doute destiné à Colette.

À cette vue, les invités se signèrent, et aussitôt une vigoureuse poussée les envoya rouler pêle-mêle dans la neige, et l’on entendit une voix caverneuse proférer ces mots épouvantables :Colette, sois mon épouse et viens régner avec moi au royaume de l’enfer. Tu as dis ce matin : «Plutôt épouser le diable que de coiffer Sainte-Catherine !» Ton vœu est exaucé. Damnés en avant la noce !

On entendit alors un bruit formidable de chaînes et d’enclumes, un gémissement lugubre glaça d’épouvante les derniers invités qui fuyaient au loin, la masure s’écroula, et une flamme bleuâtre erra sur les décombres.

Le lendemain, la masure de Colette avait disparu. À sa place s’élevait un monceau de cendres fumantes et une poutre calcinée : dernier vestige du terrible drame de la veille.

Aucun spectateur du tragique événement ne l’oublia, et c’est encore en tremblant que, longtemps après, ils rappelaient à leurs jeunes filles, qui voyaient la coiffe de sainte Catherine d’un mauvais œil, la terrible punition de l’imprudence de Colette.

* * *

Tous les ans à la Sainte-Catherine, sur l’heure de minuit, on voit une forme blanche errer dans les ruines maudites et tracer en lettres de feu cette funeste parole : «Plutôt épouser le diable que de coiffer Sainte Catherine !»

Et l’on dit dans le village que c’est Colette qui vient renouveler à son seigneur et mari, le diable, l’hommage, qu’elle a juré dans un jour néfaste.

 Chs-M. Ducharme.

 

Le Monde illustré (Montréal), 24 novembre 1900.

L’illustration est d’Edmond-J. Massicotte. Profitez bien de cette image. Étonnamment, les images anciennes du diable, par nos illustrateurs du temps, sont très rares. Il serait impossible d’imaginer un bel album québécois à ce sujet.

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