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Il faut se débarrasser du diable en l’envoyant en ballon

epouvantail

Étonnante façon de faire en Italie centrale, aux limites de l’Ombrie et des Abruzzes.

On célèbre chaque année, le 1er août, une coutume populaire, «une cérémonie plutôt plaisante, que ces bonnes gens cependant prennent au sérieux, car leur religion ne va pas sans une forte dose de superstition».

Au préalable, ils élisent un des leurs pour présider aux apprêts de la fête; ils choisissent celui que l’on considère comme le plus intelligent de la localité, le malin de l’endroit. Celui-ci s’évertue d’abord à fabriquer une montgolfière, besogne ardue; puis il entreprend la fabrication d’un mannequin de la grandeur d’un homme, auquel il donne une forme aussi maigre, aussi efflanquée que possible.

Un masque de carnaval, enjolivé d’une paire de cornes et d’oreilles pointues, caractérise le personnage représenté : c’est le diable, Satan lui-même, le mauvais esprit, le tentateur, l’éternel ennemi du genre humain. Notre homme drape son simulacre d’étoffes rouges à dessins noirs; il prolonge les doigts en griffes recourbées; les pieds sont largement fourchus; des ailes ongulées s’attardent aux épaules et, point important, une queue velue, soudée au bon endroit, s’allonge interminable : c’est un Satan complet, bien conforme au signalement relevé par les personnes qui l’ont vu, qui lui ont parlé, et ces personnes ne sont pas rares en Italie.

On raconte qu’un statuaire grec avait sculpté un Jupiter Tonnant si terrible d’aspect qu’il tomba à genoux devant son œuvre. Notre fabricant de diable, quoique bien informé sur les tenants et aboutissants de son épouvantail, n’est pas très rassuré, et, pour se défendre contre une attaque possible du malin esprit, il prend la précaution de s’entourer le torse d’un énorme chapelet, avant de vaquer aux dernières phases de la cérémonie.

Quant aux nombreux assistants, dès que la montgolfière gonflée d’air chaud s’enlève, emportant le fantoche accroché, ils se précipitent à genoux et récitent au plus vite les oraisons qu’ils peuvent savoir.

Quel est le but de cette ascension diabolique ? Les indigènes affirment que le départ du diable les délivre des songes pénibles, des cauchemars démoniaques inspirés par les puissances infernales. Ils ajoutent, quoique le second fait n’ait aucun lien avec le premier, que la vendange annuelle s’opère plus heureusement après cette expulsion aérienne. Pour la montgolfière et son passager, ils deviennent ce qu’ils peuvent, et vont tomber souvent bien loin, au gré du vent qui les emporte.

 

La Patrie (Montréal), 30 novembre 1904.

Ainsi la chatte se peigne en Italie centrale.

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