Ah, mesdames, pourquoi donc avez-vous perdu le goût de la campagne ?
Écoutez le père Bernichon. Oui, j’admets, il s’adresse aux Françaises.
Mais, parfois, vous arrive-t-il d’en avoir plein le chapeau de la campagne ?
Le Rév. P. Bernichon, dans une étude citée par la Réforme sociale, émet l’opinion que, si les Français de notre époque ont peu de goût pour s’établir à la campagne, cela tient souvent à l’opposition des femmes :
«C’est elle, bien plus que les hommes, qui ne veulent plus vivre à la campagne. On trouverait encore des fils de famille pour se faire agriculteur; mais ces dames et ces demoiselles ont pris racine au bord des rues et des boulevards; elles ont besoin d’être enfermées dans ces grandes murailles et de respirer cette fumée.
«Le grand air leur fait peur : ne voir, quand on ouvre sa fenêtre, que des champs de blé, des coteaux verts, le rideau de peuplier qui encadre la rivière, les vaches qui paissent dans les prés, c’est affreusement monotone et ennuyeux à périr. Quelques semaines pendant les grandes chaleurs, au milieu de cette paysannerie, c’est tout ce qu’elles en peuvent supporter; mais s’y installer à demeure, elles appellent cela s’enterrer toutes vives.»
Le P. Bernichon reconnaît que cette aversion des femmes pour la campagne a des circonstances atténuantes. La ville est plus commode pour bien des choses : provisions, instruction des enfants, et surtout plus agréable pour les visites, les réunions, les occasions multiples de se voir et de babiller entre amies. Il voudrait que l’on s’efforçât de leur faire «comprendre» les champs.
Mais pour qu’elles les comprennent, qu’elles s’y intéressent et s’y attachent, il faut évidemment changer quelque chose à un système d’éducation où tout conspire à lui en donner de bonne heure le dédain et le dégoût. L’éducation des jeunes filles du commencement à la fin est exclusivement dirigée du côté de la vie urbaine, si bien que celles qui, plus tard, sont obligées d’aller vivre à la campagne, se trouvent complètement déroutées, exposées à des luttes violentes et à de fâcheuses crises d’âmes.
C’est cette orientation trop uniforme et trop constante qu’il faudrait changer. C’est donc un coup de barre à donner résolument dans un sens qu’on était convenu d’éviter jusqu’à présent. La famille et l’école devront y contribuer, chacune pour leur part; car ici, comme en toute chose, leur action doit s’unir sous peine de s’annihiler.
L’Écho des Bois-Francs, 14 septembre 1901.