«Les dieux météorologiques»
J’aime beaucoup la revue française La Nature, l’ancêtre de La Recherche. Durant les années 1880, elle propose des sujets comme Les chiens raisonnent-ils ?, La migration des plantes, La mouche domestique, Les oiseaux des grandes villes, etc.
Voici qu’elle fait écho ici aux divinités accolées par les humains aux phénomènes météorologiques. Quel texte incroyable, tellement original !
Un météorologiste distingué, M. Mahillon, a récemment publié dans Ciel et Terre une intéressante notice au sujet des divinités imaginées par les peuples primitifs pour représenter les phénomènes météorologiques.
La pluie, pour les Indiens, a été représentée, d’après ce travail, par des vaches aux pesantes mamelles; les Khonds de l’Inde centrale ont en outre une nymphe, Pizou Pennou, qui verse l’eau sur la Terre à travers un tamis; les anciens Grecs avaient Danaé et sa pluie d’or, et nos paysans disent encore, quand la pluie arrive à propos : «Il tombe des pièces de cent sous».
Les nuages ont été des serpents, des dragons, des oiseaux, des loups.
L’aurore et le crépuscule : est-il rien de plus gracieux que la divine Eos aux doigts de rose, tant chantée par les poètes grecs ? On retrouve chez les Finnois une jolie légende. Le Ciel, Ukko, a deux enfants : l’Aurore, Koi, qui allume chaque matin le flambeau du jour, le Soleil; et le Crépuscule, Oemmerik, qui l’éteint chaque soir. Le père Ukko fait ce qu’il peut pour que l’un de ses enfants ne détruise pas ainsi l’ouvrage de l’autre, et il a le bonheur d’y parvenir à une époque de l’année (au solstice d’été, où le Soleil se couche à peine dans les latitudes septentrionales). Alors Oemmerik passe le flambeau à Koi sans l’éteindre et le père Ukko est content.
Le vent : depuis Homère, chantant Eole qui, enferme dans ses outres et Zéphyr et Borée, jusqu’aux Peaux-Rouges qui offrent du tabac à la tempête, nous voyons les Lapons, pour lesquels le vent est un être vivant qui voltige dans l’air et ne perd aucune des paroles des hommes; les Boschmans, race tout à fait inférieure [!], pour lesquels le vent est une personne à laquelle on jette des pierres pour la faire rentrer dans la montagne; le paysan carinthien qui attache de la viande à un arbre, près de sa maison, pour apaiser la faim du vent; celui du Palatinat qui sort de chez lui une poignée de farine dans la main et crie à la tempête en ouvrant les doigts : «Tiens, vent, voilà de la nourriture pour ton enfant, éloigne-toi».
Le tonnerre : l’oiseau tonnerre se trouve chez les Dacotas, les Assiniboines, les Brésiliens, les habitants de l’île Harvey, les Cafres et les Karens de Birmanie. Le dieu Thor des ballades du Nord est connu de tous, Parjanhya des Hindous a les mêmes fonctions; Zacouta, le lanceur de pierres des Yorubas (Afrique occidentale); Elie et son char chez les Slaves, sont à indiquer au même titre. Les trombes sont des géants, des serpents gigantesques, des dragons de mer. Les aurores boréales sont des danses des âmes pour les Groenlandais. L’écho a été presque partout et le plus naturellement personnifié. Esprit pour les sauvages, nymphe pour l’ancienne mythologie.
L’arc-en-ciel, l’un des plus fêtés par les uns, l’un des plus redoutables pour les autres. Démon, monstre redoutable, buvant l’eau des sources et des étangs, répandant la maladie et la mort.
La splendide écharpe d’Iris, belle messagère des Dieux en Grèce. Au Dahomey, serpent bienfaisant, porte-bonheur; l’arc céleste du dieu du tonnerre chez les Lapons, lançant des flèches de feu. En Polynésie, chez les Aryas, les anciens Germains, les Hindous, les Perses, les Arabes, pont mystérieux qui conduit au séjour des âmes.
La Nature, tome 25 (Paris, 1885), p. 151.