Colombine s’adresse aux pudibondes
J’ai appelé à nous à quelques reprises, et encore il y a quelques jours, Colombine (Éva Circé-Côté), une femme vraiment audacieuse pour son temps. La revoici.
Au début de 1905, Réjane et Isaye, des comédiens français, viennent jouer à Montréal une pièce de théâtre «en costumes quasi primitifs». Certaines de ses consœurs montréalaises s’en scandalisent. Mise au point de Colombine sous le titre «À bon entendeur, salut !» Extraits.
Imaginez un artiste, épris de beauté et d’harmonie, esprit méditatif, qui se trouve en présence d’un semblable spectacle. Croyez-vous qu’il s ‘amusera à salir son âme de pensées malsaines ? S‘il est chrétien dans toute la noble acceptation du mot, qu’est-ce qui l’empêche d’élever son cœur vers l’Auteur de ces merveilles éblouissantes pour lui rendre grâce et l’admirer dans ses œuvres ? […]
C’est tout à l’honneur de Jéhovah que ces messieurs se baignent la prunelle des charmes de la femme et des fleurs surgissant de leur calice, puisqu’elles sont sorties telles de la baguette magique du Créateur, qui n’a pas pu, qui n’a pas voulu faire le mal ni susciter des occasions de péché. Tant qu’Adam eut les lèvres vierges du jus de pomme, il trouva bon qu’Eve ne songeât qu’à se parer de sa chevelure. Mais, après la faute, je le vois rouler des gros yeux pour dire à sa petite femme, sur un ton qui n’admettait pas la réplique : «Eve, va t’habiller !» […]
Plutôt que de voiler les belles et chastes épaules des braves Canadiennes, il conviendrait de travailler le «point de vue», de l’épurer, de dire aux ignorants qu’il n’y a pas matière à gauloiseries, que la femme est aussi au naturel en costume de bal qu’une rose sortant de son calice. […]
Quant à faire un crime à un homme d’être fier de sa femme, de la promener triomphalement à son bras, de s’en parer, où donc est le mal ? S’il possédait un Greuze ou un Millet, croyez-vous qu’il le voilerait dans un coin isolé de sa plus vilaine pièce ? Il en serait orgueilleux et s’en ferait parade auprès de ses amis. […]
Une petite dame m’a avoué ingénument que sa lune de miel dont la splendeur périclitait depuis quelques mois s’est soudain remise à briller après un bal où elle avait étrenné une superbe toilette décolletée : «Je ne reconnaissais plus mon mari; il était empressé, galant et je ne sais trop s’il ne m’a pas débité des madrigaux comme au temps de nos amours. Vois-tu, ma chère, quand nous sommes habillées en cuisinières, nous sommes traités en cuisinières», a-t-elle conclu imperturbablement.
Je dois ajouter que j’ai remarqué moi-même que les hommes étaient plus religieusement impressionnés, plus respectueux, moins portés à dire des grivoiseries à une femme en grande tenue, les mêmes bien souvent qui souffleraient des fadaises à des promeneuses emmitouflées jusqu’aux yeux dans leurs fourrures. […]
Depuis quarante siècles que les mots et les préjugés nous gouvernent, quand donc, ô raison, ton règne arrivera-t-il ?
Colombine.
L’Avenir du Nord (Saint-Jérôme), 23 février 1905.
Tout de même, il faut admettre que les temps ont bien changé ou Colombine fut vraiment fort audacieuse. Madame, Vous me voyez Vous demander : «J’aimerais tant voir vos Merveilles éblouissantes sorties de la baguette magique du Créateur» ? Ô la la !
L’image de la comédienne française Réjane apparaît sur le site CPArama.com, Forum et galerie de cartes postales anciennes de France.
En effet, il faudrait beaucoup d’audace pour oser poser à une femme la question que vous écrivez ci-haut… J’imagine et j’en ris toute seule ! Cependant, je retiens cette phrase de dame Colombine, qui, ma foi, est tout simplement du « gros bon sens »: « quand nous sommes habillées en cuisinières, nous sommes traités en cuisinières. » Trouvons un juste milieu…
Ah, ces Merveilles éblouissantes venues de la baguette magique du Créateur !