Victor Hugo, au sujet du chat
Qui sait qu’en 1839, au lendemain des batailles ici de nos Patriotes pour la liberté, l’écrivain français se lançait dans un texte sur le félin de poche : Le chat et la basse-cour ? Il faut admettre tout de suite que l’auteur n’a aucun égard pour les autres bêtes de la ferme. Mais c’est ainsi.
J’achève le voyage du Rhin; j’ai vu avec le Rhin, la Meuse, le Neckar, la Moselle, les soldats prussiens, autrichiens, bessois, badois, tous les aigles et tous les griffons de la confédération germanique; j’ai étudié les questions de guerre et de paix, d’équilibre et de perturbation…. Maintenant, dans une auberge-métairie, je passe ma journée à contempler une basse-cour où il y a un chat.
Rien ne me divertit comme un chat dans une basse-cour. C’est un spectacle charmant. Le chat est un philosophe distingué, un poète, un penseur, un fabuliste. Il vit parmi les animaux.
Regardez un peu ma basse-cour, je vous prie. Le dogue, qui a veillé toute la nuit, dort tout le jour dans sa niche. Le pourceau grogne dans sa souille. Le lapin est bête, le dindon est sot, l’oie est stupide. Les uns cancanent, les autres caquettent. Tous bavardent au hasard sans écouter leur voisin. La poule, cette commère, jalouse la pintade qui prend des façons pincées de créole et d’étrangère. Le canard, ce porc de la gent volatile, se goberge hideusement dans la mare. Le coq, cet hidalgo, fait la bravache, promène et varie ses allusions de capitan et s’épuise en dévouement, en désintéressement et en galanterie pour son sérail, comme un chevalier arabe.
Le chat, lui, est dans son coin, dans sa fourrure; il a chaud, il est bien, il est seul. Il a la meilleure place au soleil, il ne dit rien. S‘il s’absente une heure ou deux, c’est pour aller chasser dans le verger, chasser non en chien, mais en chat, non pour les autres, mais pour lui. Que voulez-vous ? la vie a ses besoins misérables, il faut dîner tous les jours; et puis, un chat de basse-cour est un chat honorable et décent qui laisse les souris, fi donc ! aux tigres de gouttières.
Il a donc déjeuné discrètement, dans l’ombre, d’un moineau ou d’un chardonneret. Il revient, il reprend sa place, il se rassied, il rêve, il observe, et toujours, et dans tous ses mouvements et dans toutes ses actions, il déploie, avec son grossier entourage, ses manières de bonne compagnie, cette réserve, cette propreté en toutes choses, cette politesse légèrement ironique, ce demi-dédain indulgent, cette bienveillance à griffes cachées, cette supériorité voilée, cette résignation élégante, cet égoïsme savant, gracieux et sournois, d’un homme d’esprit fourvoyé dans un réunion d’imbéciles.
Victor Hugo.
Ce texte de Hugo apparaît dans L’Avenir du Nord, un hebdomadaire de Saint-Jérôme, édition du 27 février 1902.