Allez, cap sur Québec
Le journaliste Jules-Siméon Lesage propose aux lecteurs du journal montréalais La Patrie une visite à Québec. Son offre paraît dans l’édition du 10 avril 1909.
En ce temps de transition saisonale [sic], les jours ensoleillés alternent avec les jours gris; il y a dans l’air quelque chose à la fois de grave et de suave, agrémenté d’un sourire d’avril.
Le poisson d’avril ! que de gens l’ont couru de gaieté de cœur ! Que de jolis tours !
Maintenant, par les belles journées, les promeneurs se rendent en foule sur la terrasse pour aspirer à pleins poumons l’air vivifiant et se repaître l’œil d’espace et d’horizon. Les bonnes d’enfants y promènent des bébés roses, d’autres grands marcheurs, esprits rêveurs et méditatifs y promènent leurs «pensées». Tandis que, sur les bancs verts alignés le long de la balustrade, assis l’un contre l’autre, des jeunes amoureux échangent de doux propos, conjuguent pour la centième fois un verbe qu’ils savent par cœur.
Hier encore, le «pont» de l’île d’Orléans tenait bon, mais, sous l’action du soleil, voici qu’il se désagrège et qu’un de ces «sorciers» [surnom alors donné aux habitants de l’île] s’étant risqué dessus faillit passer à travers avec son cheval et sa voiture. Le pont du cap Rouge, le «Montcalm» en aurait eu raison. Attendons-nous tout de même à une débâcle en règle.
Dans nos rues, ce n’est que ruissellement de neige fondante. Pour les traverser, il nous faudrait marcher sur des échasses. Les carrioles traînent le fond et déjà quelques voitures à roues ont fait leur apparition.
Pendant qu’à l’Auditorium un nombreux public savourait la musique classique de la troupe d’Opéra italienne, à l’Université Laval, foyer des arts et des sciences, M. J.-E. Prince, professeur d’économie politique, non moins versé dans les études historiques, donnait devant un auditoire d’élite une conférence très goûtée sur M. Ed. [Édouard] Richard et son œuvre : un «Chapitre perdu de l’Histoire Acadienne».
C’est un ouvrage classique sur la matière, déjà tant fouillée, digne à la fois d’un chercheur éclairé et d’un patriote. M. Prince a naturellement avec l’auteur pris fait et cause pour les «déportés», ces malheureux exilés qui, revenus dans le beau pays d’Évangéline, y occupent une position économique très enviable. […]
Maintenant, dans le monde industriel, on parle d’un projet de construction d’une gare centrale sur l’emplacement de la halle Champlain à la basse-ville. Sous cette poussée progressive, la vieille et pittoresque rue Champlain, avec ses masures et ses haillons flottant aux vents sur les cordes à linge, tout cela va disparaître. Hâtons-nous de dire, avec tout te respect que nous avons pour les «vieilleries» et les choses du passé, que c’est une mesure hygiénique qui depuis longtemps s’imposait.
Déjà, sur nos marchés les «cassots» de tire et le sucre nouveau ont tenté bien des petits et grands enfants par leur couleur dorée et leur succulence. […]
Alleluia ! le Carême s’en va !
«On mangera plus de soupe aux pois», turlutera-t-on, en entendant dans l’air frais du Samedi saint au matin carillonner à toutes volées les cloches revenues de Rome.
Les «vieux» nous racontent que, quand ils étaient petits, on leur disait que le jour de Pâques le soleil dansait à travers les branches des grands arbres; aussi se levaient-ils de grand matin pour observer le curieux phénomène.