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En pays profond avec Joseph Bourque

trois hommes sastinant paul lewis clemensÀ Saint-Cuthbert, dans la région de Lanaudière, on se bat entre les Blondin et les Boucher. Qui croire ? Retrouvons-nous donc à la Cour du Magistrat.

Il y a quelque temps, des personnes de St-Cuthbert ont voulu faire passer un mauvais quart d’heure à certaines……. femmes qui demeuraient dans leur paroisse. De là, charivari et procès en règle. Les femmes Blondin font arrêter les Boucher pour tapage nocturne et ceux-ci font appréhender celles-là au corps pour avoir tenu une maison plus que suspecte.

On est en cour. M. Dorion, le magistrat de District, est sur le banc, les avocats, MM. Germain et Brousseau, à leur poste. Il s’agit de détruire le témoignage des Boucher, dont la véracité paraît mise en doute.

L’huissier. — Joseph Bourque !

Bourque. — Me v’là, M’sieu.

L’avocat. — Quelle réputation ont les Boucher dans la paroisse de St-Cuthbert ?

Le témoin. — Ah ! m’sieur l’avoucat, tout le monde en a peur; c’est des gens revengeurs; quand on passe par chez eux, on a souleur. Et pis, t’nez, des gens qui se battent entr’eux…… (Le témoin branle la tête à plusieurs reprises, en clignant de l’œil gauche.) Les deux frères, Joseph et pis l’autre que vous voyez là, ça s’est tiré avec des fusils (rires). Et pis un bon jour le bonhomme et la bonne femme se sont battus; comme la bonne femme avait une longue crinière, elle s’est fait battre. Et ben, m’sieur l’avoucat, savez-vous ce qu’a fait la vieille ? Pendant la nuit, elle s’est coupé les cheveux avec un couteau et le lendemain elle a donné une bonne raclée à son vieux. Que coulez-vous, celui-ci n’avait plus de poigne. (Rires prolongés.)

Les Boucher ? Si j’les connais ? mais j’en ai une pour femme. C’est un’ imitation du diable. Si y avait eu moyen de se séparer, il y a longtemps que ça serait bâclé. Mais voyez-vous, j’ai pensé au grand empereur Napoléon qui avait demandé à not ‘ St-Père le peupe de se séparer d’avec sa femme et not’ St-Père n’a pas voulu et il a préféré aller en prison plutôt que de les séparer.

Pour lorse, j’ai pensé qu’une fois marié et que le conjungo est passé, il y a pu moyen et j’sus resté avec ma femme. Mais je vous assure que si j’avais su ce que je sais, que quand bien même j’aurais su qu’en mariant une Boucher elle m’aurait pondu tous les matins une montre en or avec une chaîne au bout, je ne l’aurais jamais prise. (Hilarité générale.)

L’avocat. — Les femmes Blondin sont-elles pauvres ?

Le témoin. — Pauvres ! ah ! m’sieu, pauvre comme de la saumure, les chiens jappent après la lune, ils la prennent pour une galette. Dans ce p’tit canton-là, on est tout pauvre; pas moyen de trouver une livre de lard et pis on mange de la galette sèche. On est assez pauvre que le corps nous en craque (rires). J’vous assure que pour passer un hiver comme c’t’hiver, il faut s’faire aller et s’tapocher un peu. Ben, je vous dirai que quand leur mari est parti l’automne dernier, il leur a laissé une p’tite taure et un p’tit garret; vous pouvez penser que ces femmes-là ont dû s’tapocher pour hiverner.

Et le témoin continue sur ce ton pendant au-delà d’une heure.

 

Le Sorelois, 30 mars 1883.

Ci-haut, une illustration du peintre américain Paul Lewis Clemens (1911-1992). Probablement, une scène de baseball, où deux joueurs argumentent avec un arbitre.

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