La chèvre et le chef de gare
Retrouvons-nous en banlieue de Paris. Le Sorelois nous y amène le 21 mars 1882.
Le chef de gare d’une localité des environs de Paris, souffrant d’une maladie du larynx, avait été mis au régime du lait de chèvre.
Chaque matin, la femme allait traire sa chèvre et apportait à son mari le breuvage ordonné.
Elle fut obligée de s’absenter pendant quelques jours, et son mari se trouva dans l’obligation d’aller traire lui-même la chèvre.
Mais il avait compté sans le caractère sauvage et capricieux de cette espèce de bétail et, le lendemain, dès que la bête aperçut notre homme, elle se recula dans un coin de l’étable et, baissant une tête ornée de cornes menaçantes, elle fit comprendre au chef de gare que boire du lait et en traire étaient deux choses absolument distinctes.
Après quelques tentatives infructueuses, notre infortuné chef de gare comprit qu’il ne pourrait jamais arriver à obtenir par la force ce qu’il voulait de cette bête.
Alors, pris d’une idée lumineuse, il remonta chez lui et endossa la jupe de sa femme, son coraço et son bonnet, et, affublé de cette façon, il revint à l’étable où la bête, trompée par les apparences, se laissa docilement traire.
Le chef de gare remontait triomphalement à son appartement avec son bol de lait fumant à la main, et, se croyant au bout de ses peines, se mit à boire avec délice l’excellent breuvage.
Tout à coup, la sonnerie électrique tinte, un train supplémentaire arrive et il n’est pas là ! Emporté par l’habitude, notre chef de gare, toujours revêtu de son costume féminin, descend l’escalier quatre à quatre et arrive sur le quai juste au moment où l’inspecteur de la ligne descendait de la machine.
On comprend la tête que fit ce dernier en voyant son subordonné dans cet accoutrement.
Le malheureux chef de gare, tout confus, expliqua comme il put sa position, et l’inspecteur, qui est un bon vivant, n’a pas donné de suite à cette affaire.
Cet article est aussi paru dans La Gazette de Joliette du 10 mars 1882.
La photographie prise vers 1895 de la gare de Chicoutimi, rue du Havre, est déposé à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Saguenay, Fonds Vincent Dubuc, Documents iconographiques, cote : P60, S1, D1, P17.