Les dessous des grands magasins

Jamais on ne s’arrête à la construction de ces grands magasins, dits à rayons, bâtis durant le dernier quart du 19^e siècle. Voici une véritable pièce d’archives pour l’histoire de l’architecture commerciale au Québec. Dans Le Canadien du 8 janvier 1884, l’ingénieur civil Charles-Édouard Gauvin décrit le nouveau magasin de Zéphirin Paquet, rue Saint-Joseph, dans le faubourg Saint-Roch, à Québec.

Nous choisissons aujourd’hui pour sujet le nouvel établissement de M. Paquet, sur la rue St-Joseph, comme étant un des exemples les plus remarquables des édifices particuliers récemment construits à Québec, et sans contredit un des types de construction moderne les plus complets que possède notre ville.

Toutes les améliorations modernes applicables aux constructions s’en trouvent réunies dans le nouveau magasin en question : chauffage à la vapeur, éclairage au gaz, éclairage électrique, ascenseurs, etc.

L’architecte de cette construction remarquable semble avoir voulu confirmer l’exactitude de cette belle définition de l’architecture que nous a donnée un célèbre auteur, M. Viollet-le-Duc : l’architecture, dit-il, dans son Histoire d’une maison, c’est l’art de prévoir. En examinant attentivement l’édifice dont nous parlons, on ne peut faire qu’admirer la prévoyance qui a présidé à toutes choses, et qu’on remarque jusque dans les moindres détails, en même temps que la parfaite exécution de toutes les parties de la construction.

Le magasin en question a 36 pieds [un pied mesure 30 centimètres] de front sur la rue St-Joseph, 135 pieds de profondeur, et 80 pieds de hauteur au-dessus du niveau de la rue; il comprend un vaste sous-sol où se trouvent la principale partie de l’installation mécanique, le vestiaire des employés, et des dépôts de marchandises de réserve; un rez-de-chaussée exclusivement consacré aux pelleteries et aux hardes faites; un entresol ou premier étage, formant galerie des tapis et ameublements; un deuxième étage et une mansarde destinés aux ateliers de mode et de couture; enfin un grenier qui utilise la partie supérieure du comble.

Tous les étages, depuis le rez-de-chaussée jusqu’au grenier, sont desservis par un ascenseur destiné aux clients et aux acheteurs, et aussi aux lourdes pièces de marchandises […] Un petit ascenseur à bras est spécialement destiné aux paquets. […]

Un grand escalier à deux rampes opposées, placé au fond du magasin, met en communication le rez-de-chaussée et le premier étage, tandis qu’un simple escalier de service conduit aux étages supérieurs.

Outre les ouvertures des façades, tous les étages jusqu’au sous-sol sont éclairés par l’immense lanterne (sky light) que l’on remarque sur la couverture, et qui, en même temps, sert à faire la ventilation du magasin. […]

La machine motrice, réglée à 100 tours à la minute, sert à actionner l’ascenseur, les machines à coudre des ateliers de mode, et le générateur électrique auquel elle imprime une vitesse de 955 tours par minute.

Le chauffage de l’établissement est entièrement sous le contrôle du mécanicien; sur les ordres que celui-ci reçoit des étages supérieurs, il peut diriger la valeur dans tel ou tel radiateur, ou la retirer de tel autre. […]

Somme toute, le bel établissement que nous avons parcouru à la hâte, et sur lequel il reste encore beaucoup de choses intéressantes à dire, fait le plus grand honneur à son propriétaire, à l’architecte, M. Bertrand, et à tous ceux qui ont pris part à sa construction. […]

Le coût total de la construction est évalué à $50,000, à part le terrain. […]

La vue de la façade du magasin de la Compagnie Paquet Ltée en 1915 provient de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds Paquet-Le Syndicat inc., Documents iconographiques, cote : P726, S44, P12.