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Une dame âgée vit comme la mère Framboise

L’événement se passe aux États-Unis. À Montréal, La Patrie du 22 juillet 1889 raconte.

S’il faut en croire les bruits qui courent à New-Brunswick (New Jersey), on aurait fait aux environs de cette ville une découverte extraordinaire. Dans une maison perdue au milieu des bois, sur les bords du Raritan, vit une vieille dame nommée Merritt et qu’on dit âgée de quatre-vingt ans.

Elle habite seule avec une vieille bonne dont le passé est aussi mystérieux que sa maîtresse. On raconte que, depuis trente-six ans, Mme Merritt n’a pas quitté sa chambre et n’a vu d’autre figure humaine que celle de sa bonne. Dans sa jeunesse, elle aurait eu un violent chagrin d’amour, et dès lors elle aurait résolu de se retirer du monde.

On dit cette vieille dame très riche; sa maison, dont elle n’occupe qu’une seule pièce, est luxueusement meublée; Mme Merritt a des toilettes superbes et des quantités de bijoux; elle ne mange que dans de la vaisselle plate, et, dans sa chambre, se trouve un coffre bardé de fer et rempli, dit-on, d’or et d’argent.

Depuis son chagrin d’amour, elle n’a jamais dormi dans un lit; elle passe son temps dans sa chambre à lire et relire les livres de sa bibliothèque. Mais si elle a renoncé au commerce des humains, elle a reporté ses affections sur les animaux; elle n’a pas moins de vingt-huit chats, quinze chiens et une chèvre, qu’elle se fait un plaisir de nourrir comme des princes.

Il n’y a pas de viandes trop exquises, de sucreries trop délicates pour cette armée de quadrupèdes, et, quand l’un d’eux vient à mourir, son cadavre est livré à un entrepreneur de pompes funèbres qui a l’ordre de l’ensevelir dans un cercueil de prix.

Voilà ce qu’on raconte couramment à New-Brunswick, et, l’imagination populaire aidant, il n’en faut pas plus pour qu’un fait, assez simple en lui-même, ait pris aussitôt les proportions d’un événement.

Il y a même des gens qui prétendent avoir vu, la nuit, la vieille servante courir les bois avec une lanterne, et creuser des trous au pied des arbres pour y cacher des trésors. Aussi, pour beaucoup de personnes, la maison de Mme Merritt est-elle une maison hantée, et la vieille dame et sa servante passent-elles pour des sorcières.

 

L’illustration est la dernière page du livre de Maurice Carême, La Mère Framboise, Éditions Le Sénévé, 1970.

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