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Brave Joe !

Dépouiller la presse québécoise d’autrefois et en échapper une partie du contenu sur internet, c’est révéler, souvent pour la première fois, des héros incroyables.

Vous vous souvenez, par exemple, de la terrible inondation de 1887. À Montréal, le batelier Joe Vincent avait travaillé jour et nuit pour les naufragés, mettant aussi à la disposition de tous sa flottille de 40 chaloupes.

Sous le titre «Un héros. Joe Vincent risque sa vie pour arracher à la mort un père de famille», la Gazette de Joliette du 7 avril 1892 met le vaillant Joe en pleine lumière.

 

 

Vendredi, le fleuve Saint-Laurent a offert un de ces spectacles émouvants qui rehausse l’homme dans sa propre opinion.

Vers 8 heures et demie, M. Azarie Leriche, charretier au service de la corporation, s’engageait sur la glace pour porter un voyage au déposoir établi sur le fleuve, lorsque la glace se mit subitement en mouvement.

Les quelques spectateurs qui se trouvaient là furent frappés de stupeur et considéraient déjà le malheureux charretier comme voué à une mort certaine.

Heureusement un homme était là; le premier glaçon ne s’était pas encore décollé du bord que Jos Vincent, une simple rame à la main, était dessus, marchant résolument au secours du malheureux charretier.

Aux premiers cris des spectateurs de ce drame, la foule s’était rassemblée et des milliers de personnes assistaient à ce sauvetage désespéré. L’angoisse était sur tous les visages et plus d’un homme fort marmottait une prière.

Joe Vincent, notre brave Canadien, s’occupait bien de la foule; les yeux fixés sur le malheur que la débâcle entraînait, il allait de l’avant sans souci du danger, sautant de glaçon en glaçon, ne semblant pas redouter que chaque pas en avant le rapprochait lui-même de la mort.

Enfin, il atteignit le glaçon sur lequel dérivaient le malheureux charretier, son cheval et son tombereau. L’homme était désespéré, et nous tenons de lui qu’avec l’espoir, il avait perdu toute sa présence d’esprit.

Joe Vincent n’aime pas faire les choses à demi et il a voulu avec le maître sauver son attelage, quoique le cheval effrayé refusait de passer d’un glaçon à l’autre.

Enfin, habilement conduit, le groupe arriva sur le bord. Inutile de dire l’ovation enthousiaste qui fut faite au brave Jos, que la foule avait déjà acclamé lorsqu’elle l’avait vu arriver sain et sauf à Longueuil [sur l’autre rive, en face de Montréal].

Le sauvé, M. Azarie Leriche, est marié et père de sept enfants; comme on le voit, Joe Vincent n’a pas perdu sa journée et La Presse le félicite chaudement de ce nouvel exploit, de cet acte de courage, de sang froid et d’abnégation de lui-même.

Lors du commencement de la marche de la glace, huit personnes se trouvaient sur le fleuve : c’était les charretiers Lespérance, Giguère, Bazinet, St-Pierre, Benoît, Gosselin et Leriche, ainsi que M. Rodolphe Descaries, contremaître. À part du «père Leriche», comme il est appelé d’ordinaire, tous les autres, avec l’assistance de plusieurs personnes qui se sont portées à leur secours, ont réussi à gagner la terre ferme non sans danger cependant.

M. Descaries a raconté ce matin à un reporter de La Presse qu’il était lui-même sur la glace au moment où elle a commencé à se mettre en mouvement. Leriche n’avait pas fini de décharger sa voiture et, quand il a voulu suivre ses compagnons, la mare s’était agrandie d’environ trente pieds [quelque 9 mètres]. En même temps, la banquise sur laquelle il se trouvait avec son cheval suivait le cours du courant qui est très rapide à cet endroit. Il a été sauvé, avec son attelage, à Hochelaga, vis-à-vis la filature de coton, où, ainsi que nous le disions plus haut, son îlot flottant est venu s’échouer.

Cette scène avait naturellement attiré une foule de personnes qui suivaient avec anxiété et angoisse ce qui se passait sur le fleuve et encombrait la voie du Pacifique au moment où le train express du matin devait passer. Heureusement que le mécanicien en prenant la courbe a réussi à stopper à temps, sans cela il y aurait eu pertes de vie.

On faisait courir le bruit ce matin qu’un inconnu avait été coupé en deux par le train, mais des renseignements pris à bonne source nous assurent qu’il n’y a pas eu d’accident.à

* * *

Déjà, le 10 août 1883, le quotidien montréalais L’Étendard avait rapporté cette nouvelle : «Radeau brisé. Un radeau sur lequel le fils du président Arthur avait sauté les rapides de Cornwall s’est démembré hier matin en touchant un des piliers du pont Victoria. Les voyageurs qui étaient dessus se sont sauvés en se cramponnant aux débris. Ils ont été recueillis par les canotiers de Joe Vincent.»

Vous voulez que je vous dise ? À dépouiller la presse québécoise ancienne, il m’arrive parfois de penser que c’est là le lieu de la véritable histoire du Québec, comment tout un peuple, où l’on y trouve à l’occasion de vrais sauve-la-mort, vivait son quotidien dans ce pays du Nord, développant une culture qui lui est propre. J’aime tant. Absolument rien à voir avec les premières pages des journaux de ce temps où on était enferré dans des débats politiques très locaux, qui ont tellement vieilli maintenant, devenues quasiment inutiles aujourd’hui à qui se penche sur le long terme.

L’illustration de ce cher Joe est parue dans le Canadian Illustrated News du 7 août 1875. On la retrouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Esther #

    Un homme de Québec à qui je racontais un jour l’intérêt(et les connaissances !) de mon défunt père pour la « petite histoire », les souvenirs et la vie de ‘tout un chacun’ autrefois, me dit un jour: « Vous savez madame, il n’y a pas de ‘petite histoire », il y a l’histoire. » J’ai pensé alors qu’il avait raison. Votre témoignage d’aujourd’hui confirme aussi ces dires…

    8 avril 2014
  2. Jean Provencher #

    Je suis tellement, mais tellement d’accord avec cet homme de Québec et votre défunt père ! Ici, avec Jos Vincent, on baigne vraiment dans toute une époque… et toute une culture, d’où nous venons. Ces gens sont les nôtres.

    8 avril 2014

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