Que penser de l’écrivain de Lamartine ?
De nos jours, au 21e siècle, qui donc peut connaître Alphonse de Lamartine (1790-1869), ce prince du romantisme ?
«Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours !» Wow !
À peu près inconnu aujourd’hui sinon de spécialistes, il est un grand personnage de la littérature occidentale du 19e siècle. Et voilà qu’en 1890, on fête le centenaire de sa naissance. En France, on demande alors à certains écrivains ce qu’ils pensent de son œuvre. Le quotidien québécois Le Canadien reproduit, le 8 novembre, l’article du journal français L’Événement à ce sujet.
On va voir comment les jugements des plus grandes personnalités du monde littéraire diffèrent.
Voici d’abord ce que dit Alexandre Dumas :
Il ne faut pas me demander mon opinion sur Lamartine; elle est trop partiale; ce n’est pas de l’admiration que j’ai pour lui, c’est du culte. Celui qui a écrit les Méditations, les Girondins et le Manifeste aux puissances étrangères, celui qui a dit le mot de la Chambre des députés et la phrase du Champ de Mars m’apparaît tout simplement comme le plus grand en vers et en prose, comme le plus grand orateur, comme le plus grand politique, comme le plus grand citoyens des temps modernes. Pour moi, ce n’est pas un grand homme, c’est le grand homme, tout d’un bloc, sans effort, sans préméditation, sans le vouloir, pour ainsi dire.
À mon avis, il échappe à toute analyse, à toute explication. Il est parce qu’il est, comme une montagne, comme une marée, comme un lever de soleil, qu’on peut ne pas regarder évidemment; mais si l’on regarde, on est émerveillé. Il ne reste que de la lumière du passage de Lamartine dans ce monde.
Il me semble qu’on pourra encore être tous les autres grands hommes, mais qu’on ne pourra plus être celui-là. Bref, comme je l’ai dit dans un article publié après sa mort, je ne le compare pas, je le sépare. Voilà ce que je pensais alors et ce que je pense toujours.
M. Sardou se charge de la contrepartie :
C’était un grand poète, un brave homme et un déplorable politique. Il nous a joué un bien vilain tour en 48, et a prouvé une fois de plus qu’il n’y a pas pires conducteurs des peuples que les poètes, qui sont des rêveurs. Une République avec trois consuls — Lamartine, Hugo et Dante, ce serait à fuir chez les sauvages !
M. Sully Prudhomme se classe parmi les admirateurs :
Chez Lamartine, ce me semble, la poésie n’est point, à proprement parler, un art, mais une simple (et d’autant plus merveilleuse) production de la nature. C’est comme une pêche veloutée et juteuse dont la saveur exquise est l’œuvre indivisible de la terre et du ciel à la fois. Lamartine n’en est pas le cultivateur, il est l’arbre lui-même.
Puis viennent trois lignes originales de M. Pailleron :
Dans cette grande Trinité lyrique de 1830, Hugo représente «le Pape», Musset «le Fils» et Lamartine «le Saint-Esprit».
M. Jules Claretie rappelle un mot curieux de Victor Hugo :
Victor Hugo me disait un jour : «Je suis, par ordre de dates, le premier des poètes modernes; Lamartine est le dernier des poètes classiques.»
M. Jules Lemaître :
Ce poète, aussi peu homme de lettres qu’Homère, ce qu’il exprimait sans effort, c’étaient tous les beaux sentiments tristes et doux accumulés dans l’âme humaine depuis trois mille ans : l’amour chaste et rêveur, la sympathie pour la vie universelle, un désir de communion avec la nature, l’inquiétude devant son mystère, l’espoir en la bonté de Dieu qu’elle révèle confusément; je ne sais quoi encore, un suave mélange de piété chrétienne, de songe platonicien, de voluptueuse et grave langueur.
Loué soit-il à jamais ! On se fatigue des prouesses de la versification. On est las quelquefois du style plastique et de ses ciselures, du pittoresque à outrance, du rhétorique impressionniste et de ses contournements. Et c’est alors un délice, c’est un rafraîchissement inexprimable que ces vers jadis d’une âme comme d’une source profonde et dont on ne sait «comment ils sont faits».
Le Gil Blas qui a interrogé M. Zola en a reçu le billet suivant :
J’avoue l’avoir peu lu, car il n’était déjà plus le poète de ma génération. Nous étions grisés par Hugo, et surtout par Musset. Aussi ne puis-je vous envoyer en trois phrases une opinion nette. Je pense qu’il a été très grand et qu’il a été oublié. Cela doit rendre modestes les plus orgueilleux d’entre nous.
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En 1898, un professeur du collège Stanislas à Paris donnait une conférence sur de Lamartine et le romantisme à Montréal.