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Une conférence sur un grand romantique, à Montréal

Régulièrement, au cours des dernières années du 19e siècle, l’Université Laval à Montréal invite des hommes de lettres français pour des entretiens, en particulier sur la littérature de leur pays. Au printemps 1898, voici René Doumic, professeur au Collège Stanislas de Paris. Sa première conférence porte sur la poésie lyrique du 19e siècle. Le journal La Patrie reprend une partie de ses propos le 13 avril 1898.

Je vais vous tracer l’histoire de la poésie lyrique en France au 19e siècle.

Vous savez que, depuis 200 ans, la France n’avait pas de poésie lyrique. Le 17e et le 18e siècle chez nous ont été admirables pour l’éloquence, la philosophie, le théâtre, mais ils n’ont pas eu de poésie lyrique.

À la fin du 18e siècle, nous avions en France la parodie, la légitimation lyrique, mais nous n’avions pas la poésie.

En 1820, et plus exactement le 13 mars, parut un mince recueil de vers. C’était  un modeste volume contenant 116 pages et 24 pièces. C’était l’œuvre d’un inconnu, d’un jeune homme qui n’était même pas de Paris et qui avait eu toutes les peines du monde à trouver un éditeur. Les éditeurs n’aiment pas beaucoup à publier des vers, parce que les vers ça ne se vend pas. Mais songez-y, les vers d’un jeune inconnu, provincial, des vers qui alors ne ressemblaient aux vers de personne.

Enfin, il se trouva un éditeur plus audacieux que les autres, il s’appelait Nicolle et son nom, pour un éditeur de vers, sonnait d’une manière un peu comique.

Ce dernier était libraire et il vendait des livres en langue Grecque, Latine et Allemande, et ce fut lui qui se décida à publier le nouveau recueil de vers.

Mesdames et Messieurs, le jeune homme inconnu, c’était Lamartine, le mince recueil de vers, c’était les Méditations; le 20 mars, c’est la poésie lyrique qui vient de naître en France.

Quelle est donc cette poésie lyrique française, telle qu’elle se révélait dans les Méditations ? Voilà ce que j’essaierai de vous montrer aujourd’hui.

Lamartine est né le 21 octobre 1790, à Mâcon. Il a passé toute sa première enfance à la campagne dans le domaine de Milly, qui appartenait à son père.

Ce père de Lamartine était un gentilhomme d’ancienne noblesse provinciale, avec tout ce que cela comporte de tranquillité de mœurs et de simplicité patriarcale.

Ceux des écrivains qui ont su peindre les beautés de la nature, rendre le charme de la campagne, sont ceux qui y ont vécu tout enfants. C’est ainsi que nous avons un Jean Jacques Rousseau, élevé au milieu des campagnes de la Suisse, c’est ainsi que nous avons un Châteaubriand, élevé sur les landes de Bretagne, c’est ainsi que nous avons une George Sand, élevée dans le Berry. […]

Plus tard, lorsque Lamartine sera obligé de vivre dans la ville, il s’y sentira toujours comme exilé, il s’empressera de rentrer plus vite à Milly, et mettra dans ses vers un souvenir que lui a laissé la campagne. […]

Lamartine faisait de la lecture, et nous pouvons très facilement faire la liste de ses livres favoris. Il a d’abord beaucoup aimé la Bible. Il a lu le Assian [le journaliste écrit Assian, mais il s’agit d’Ossian]. Vous connaissez cette fameuse supercherie publiée à la fin du 18e siècle par MacPherson, un littérateur écossais, poésie d’un caractère très primitif qu’il nomme Assian. Lamartine aima la poésie d’Assian d’abord parce qu’elle l’aidait à se débarrasser des idées du grec et du latin. Il l’aima ensuite à cause de sa tristesse.

Lamartine a lu Jean Jacques Rousseau, il lui a emprunté sa théorie de la beauté de la nature. Il a lu Bernardin de Saint Pierre, l’auteur de Paul et Virginie. Surtout il a beaucoup lu Châteaubriand, qui a été pour lui le grand initiateur, il a appris de lui cette tristesse vague, ce dégoût des hommes qui se consolent dans la solitude.

Il a emprunté à Pétrarque sa conception de l’amour. L’Amour consiste à mêler au sentiment de l’affection celui du respect, de l’enthousiasme, à en faire une sorte de culte.

Lamartine était optimiste. Il y a des gens qui ont cette faculté de ne voir en toutes choses que ce qui est noble et grand. Lamartine est de ceux-là.

Les thèmes de la poésie lyrique, ce sont : l’amour, l’idée de la mort, le sentiment de la nature, le sentiment de Dieu.

L’Amour, vous savez ce qu’il était devenu au 18e siècle, ce n’était qu’une fantaisie passagère, mais, pour Lamartine, l’amour est un sentiment dans lequel tout entrait, c’était quelque chose d’infini.

L’Idée de la mort, mesdames et messieurs, je n’ai pas besoin d’insister pour vous dire quelle en est l’importance aussi bien dans la littérature et la conduite même de notre vie. La mort, on en trouve partout l’idée. C’est elle qui est l’ouvrière de la philosophie et de la morale, puisque toutes les doctrines n’ont été inventées que pour nous préparer au grand passage.

Derrière l’amour, ce que Lamartine apercevait, c’était la fidélité du souvenir et, derrière la mort, ce que Lamartine aperçoit, c’est l’immortalité glorieuse.

D’où vient que Lamartine a tellement de confiance dans cette bonté de la nature ? C’est que derrière la création, ce qu’il aperçoit sans cesse, c’est le Créateur.

 

On trouvera cette image d’Alphonse de Lamartine sur la page Wikipédia qui lui est consacrée. Il s’agit d’un tableau du peintre Henri Decaisne (1799-1852) qu’on peut voir au Musée Lamartine de Mâcon, en France bien sûr.

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