Entrer au pensionnat
Je n’aurais vraiment pas aimé entrer dans quelque pensionnat que ce soit, y séjourner pendant de longs mois et pouvoir revenir chez moi seulement à Noël et à Pâques. Quel temps qui n’en finit plus ! Comment arriver à y vivre et en être heureux ? Me connaissant, j’aurais fui. Jamais je n’aurais pu tolérer les contraintes, si nombreuses, rattachées à ce mode de vie.
Le 9 septembre 1910, dans le Progrès du Golfe, un hebdomadaire de Rimouski, celle qui signe Fleur-Ange est manifestement mandatée pour dorer la pilule aux jeunes lectrices.
Depuis deux mois, le gai soleil des vacances dore de ses rayons l’orizon [sic] des jeunes filles pensionnaires, mais il touche à son déclin, ses feux s’éteignent peu à peu devant l’aurore d’une nouvelle année scolaire. — Déjà l’heure du départ va sonner, il faut encore s’éloigner de la maison paternelle, l’absence sera longue et cette pensée remplit de tristesse le cœur de nos jeunes écolières.
C’est avec des larmes de regret que chacune embrasse son père, sa mère, en leur disant au revoir ! Au revoir aussi mes joyeux ébats, mes promenades si aimées. — Encore une année d’étude et je viendrai m’asseoir pour toujours à ce foyer, pour en être le charme, la gloire et le bonheur.
Encore un dernier au revoir et vous vous envolez vers la retraite bénie du pensionnat.
Vous retrouvez là de secondes mères, tendres et affectionnées qui vous reçoivent à bras ouverts. Vous parcourez les corridors depuis quelque temps déserts, qui maintenant résonnent de mille échos joyeux — et des pas empressés de vos compagnes, vous accourez auprès d’elles, chacune vous accueille avec bienveillance et amitié, et vous êtes heureuse de les revoir. Toute entière à l’amertume de la séparation, vous n’aviez pas songé à la joie, au bonheur du retour, aussi comme vous en goûtez maintenant toutes les délices.
Vous visitez avec quelques-uns [sic] de vos compagnes tous ces appartements qui rénumère [sic] tout un souvenir; vous vous arrêtez un instant à l’oratoire, pour réclamer la bénédiction de Marie sur vous et sur vos compagnes. Oh ! oui, qui dira tout le bonheur éprouvé dans cette première rencontre avec votre mère du ciel !!….
Après ces quelques instant, vous continuez votre voyage autour du pensionnat; en rejoignant vos compagnes assemblées dans la grande salle, vous constatez l’absence de plusieurs de vos amies, la plupart remplacées par de nouvelles. Le vide causé par leur départ se fait vivement sentir parmi vous au commencement de cette année scolaire.
«Chères et timides colombes trop tôt envolées de votre cage, puissiez-vous revenir un jour à l’Arche du Saluts [sic] ! Que Dieu entende les vœux que nous lui adressons — qu’il dirige lui-même votre vol, loin des régions impures et perverses, mais vers l’horizon du bonheur, dans le chemin de la vertu, afin que nous puissions nous retrouver au port de la Jérusalem céleste.»
Pour vous, jeunes écolières qu’un même but rassemble dans cette maison : l’amour de Dieu, la pratique de la vertu, la connaissance des arts et des sciences, pour vous, qui coulez là les beaux jours de votre jeunesse, soyez amies !
Que les liens de la sainte amitié enchaînent à jamais vos cœurs ! Soyez amies pour résister au mal et repousser l’esprit mondain qui voudrait s’introduire dans cette enceinte bénie. Soyez unies pour vous exciter à la vertu, et marcher ensemble sous les étendards de l’obéissance et de la charité; soyez unies pour vaincre les difficultés semées bien souvent dans les sentiers de la vertu et de l’étude; soyez unies enfin et toujours vous souvenant de la devise du peuple canadien dont vous êtes les enfants : «L’union fait la force»; sous d’aussi heureux auspices, vous commencez votre année scolaire, puisse-t-elle être aussi fructueuse qu’elle s’annonce, quand le temps de la moisson sera venue [sic].
Montmagny, 28 août 1910
Fleur-Ange a beau dire. La vie de pensionnaire ne plaît pas à tous. La Tribune (Saint-Hyacinthe) du 12 octobre 1894 y va de ce texte :
Un élève du Séminaire de cette ville, qui paraît -il s’ennuyait beaucoup, a pris la clef des champs la semaine dernière à deux reprises différentes. Finalement, à la demande de ses parents, il a été expédié à sa famille aux États-Unis.
La photographie nous montre la classe d’un pensionnat en 1912. Elle provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds L’Action catholique, Dossiers de documentation du journal, Documents iconographiques, Cote : P428, S3, SS1, D13, P124.