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Le sculpteur Louis-Philippe Hébert

La biographie de Louis-Philippe Hébert par l’historien de l’art Yves Lacasse dans le Dictionnaire biographique du Canada est assurément d’une grande fiabilité. Mais j’aime découvrir dans les journaux anciens les premières biographies qu’on fait de personnages qui passeront à l’histoire. Souvent, l’auteur de l’époque s’attache à de petits faits qui colorent le début de la vie de la personne et que nous oublierons par la suite.

Ainsi, dans L’Album universel du 14 juin 1902, celui qui signe L’Annaliste s’attarde à une biographie du sculpteur Louis-Philippe Hébert, celui, comme l’écrit Lacasse, à qui la sculpture canadienne doit son entrée dans la modernité.

M. Hébert (Louis-Philippe) est né le 27 janvier 1850. Il est le fils d’un des premiers colons des townships de l’Est, de M. Théophile Hébert, cultivateur de Sainte-Sophie d’Halifax, comté de Mégantic, d’origine acadienne, et de Julie Bourgeois, descendante d’une famille française, émigrée pendant la Révolution. Il est aussi le neveu de M. Noël Hébert, qui fut plusieurs années député de Mégantic, et qui servit de modèle à M. Gérin-Lajoie pour son type admirable de Jean Rivard.

Comme chez tous les véritables artistes, le talent du jeune sculpteur se révéla dès son enfance. À sept ans, il sculptait déjà des figures de bois, surtout des soldats et des sauvages. Mais comme ce talent-là n’est pas précisément ce qu’il y a de mieux apprécié dans nos campagnes, on l’appelait communément le gosseux.

Pour tout le monde, c’était un paresseux, impropre à rien, bon seulement à bâtir des chefs-d’œuvre, et qui ne saurait jamais labourer une pièce de terre de sa vie. Il avait aussi un autre défaut : c’était un liseux.

— On n’avait pas plutôt le dos viré, disait-on, qu’il avait le nez dans un livre.

Bref, il était d’un mauvais exemple pour ses camarades.

Enfin, comme il avait trop d’idées croches pour faire un habitant, on tenta de le lancer dans le commerce; et le voilà commis chez un de ses oncles maternels. Or, comme il continuait toujours à gosser, son patron, dont il faisait le désespoir, finit par le congédier, en lui prédisant, suivant l’expression consacrée, qu’il ne ferait jamais rien.

Pauvre enfant déclassé, sans conseils et sans protection, le jeune artiste dut faire, de quinze à dix-huit ans, l’apprentissage de la vie, sous son côté le plus rude et le moins attrayant. Pendant trois ans, il travailla aux approvisionnements de bois de chauffage pour le chemin de fer du Grand-Tronc. Ce travail abrutissant — on le croira sans peine — n’allait guère au tempérament délicat et nerveux du pauvre rêveur, et la compagnie constante d’hommes ignorants et brutaux était bien pénible pour cette nature d’élite.

Aussi, l’oiseau saisit-il la première occasion de quitter la cage et de s’envoler. On organisait alors l’expédition des Zouaves Pontificaux. Louis-Philippe fut l’un des premiers enrôlés.

Il partit en rêvant des merveilles artistiques de l’ancien monde. Il vit Paris en passant; l’art se révélait à lui pour la première fois dans sa splendeur marmoréenne. Mais ce fut à Rome surtout qu’il vit s’ouvrir devant lui des horizons inconnus. Le jeune enthousiaste vivait dans l’extase. Pendant les moments de loisir que lui laissait le service, il courait admirer les milliers de chefs d’œuvre que renferme la ville éternelle, ou, à l’aide d’un canif seulement, exécutait d’un tour de main quelque statuette ou quelque bas-relief de son invention.

L’aumônier, M. l’abbé Moreau, qui avait remarqué son talent voulut le faire entrer à l’Académie de Saint-Luc; mais Rome fut prise avant qu’il eût pu mettre son projet à exécution. Le jeune Hébert revint donc au pays, décidé à se faire cultivateur, malgré son peu de goût pour cette profession.

Quelque temps après, il faisait connaissance de M. Édouard Richard, ancien député de Mégantic — et son parent. Celui-ci lui conseilla fortement de suivre ses inclinations, lui fournit quelques modèles, et envoya à l’exposition provinciale de 1873 un petit buste de [Pierre-Jean de] Béranger, en bois, que l’artiste en herbe avait sculpté avec son couteau. M. [Napoléon] Bourassa, qui était juge du concours artistique, lui décerna le premier prix.

On conçoit la joie avec laquelle cette bonne nouvelle fut accueillie. Oh ! le premier succès ! médiocre qu’il soit, c’est toujours le premier succès, c’est-à-dire celui auquel on est le plus sensible. Tous les triomphes et toutes les ovations de l’avenir ne sont rien comparés à la première couronne, fût-elle de clinquant.

M. Bourassa fit venir le jeune homme à Montréal, le prit dans son atelier, l’aida de son expérience et de sa bourse, et en fit ce qu’il est aujourd’hui, un artiste plein de goût, d’originalité et d’avenir.

En ce moment, M. Hébert travaille aux décorations artistiques de la cathédrale d’Ottawa et de plusieurs autres églises.

La vigueur musculaire et l’amour du travail sont chez lui des traits caractéristiques.

Dès sept heures du matin, il est à son atelier, l’ébauchoir ou le ciseau à la main. C’est là qu’on le trouve à toutes les heures du jour, gai comme un pinson et se portant comme un charme.

Que d’autres chefs-d’œuvre Hébert a produits depuis : statues de Cartier, de Macdonald, de Maisonneuve, de Lévis, de Frontenac, etc., etc. À vingt-et-un ans de distance, nous dirons avec son biographe de 1881 : laissons faire l’avenir, on peut être sûr que Hébert n’a pas dit son dernier mot.

 

La photographie de Louis-Philippe Hébert est parue dans L’Album universel du 14 juin 1902. On la trouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec sous le descripteur «Hébert, Louis-Philippe, 1850-1917».

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