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On découvre le tennis de table

Il y a quelques jours à peine, le 19 avril, je disais ne pas avoir trouvé de mention du tennis de table dans la presse québécoise du début du 20e siècle. Je me demande aujourd’hui si nous ne naissons pas à ce jeu précisément à ce moment-là.

Dans La Patrie du 28 avril 1902, celui qui signe invariablement ses chroniques de l’abréviation J.-D. C. [Joseph-Damase Chartrand] le laisse entendre, dirait-on.

L’onde irrésistible, la vague houleuse et conquérante du Ping-pongnisme est sur nous. Elle nous atteint dans nos œuvres vives.

Après avoir submergé l’Europe, après avoir roulé par-dessus les États-Unis, elle nous arrivait, terrible, portant sur les crêtes moutonnantes de sa course une fièvre, un microbe, une fureur rouge, qui s’est emparée d’assaut brutal, de l’âme entière des salons, où l’on se respecte, de tous les snobs et snobinettes du sport, de toutes les misses et ladies du bon ton du dernier bateau.

Chaque jour, à mon arrivée au collège, mon oreille, dès l’orée du parc, attrape au vol, dans le calme de la soirée, la note légère et alterne de la balle pingpongnienne frappant en cadence la table et la raquette.

En entrant, je vois nos solides cadets, au cou d’athlètes, aux muscles gonflant la peau, en bras de chemise, la tête nue, les yeux intenses, ou alertes, suant, bondissant, ou en arrêt comme le braque, guettant la petite boule blanche, qu’ils renvoient avec un petit coup sec de la petite raquette. Je m’arrête un instant devant ce réconfortant spectacle, et j’admire.

Le foot-ball vigoureux, le hockey rapide, le cricket automatique, le polo bondissant, le base-ball scientifique, le golf champêtre, la natation hygiénique, la voile attrayante, le canot amoureux, la rame fortifiante, la gymnastique leste, l’escrime raffinée, l’équitation vivifiante, la bicyclette véloce ne sont que de pâlottes attractions, de gnangnans colifichets en face de ce conquérant ping-pong.

Hier, je rencontrai dans la rue un colonel, un poids lourd de six pieds, portant, sous le bras, sa petite machine, et dans sa poche, son petit filet. Il marchait à la conquête de la victoire. Le ping-pong est magique pour le dressage militaire.

Le «bridge» est le seul concurrent sérieux de l’absorbant ping-pong. Partout, le «bridge» fait résolument face au ping-pong.

J’adore le bridge, car il me rappelle mon vieux «mort» français, mais je ne saisis pas encore très bien le ping-pong. Le charme de cette minuscule balle blanche, qui bondit sur une table, pardessus un soupçon de filet, ne m’a pas encore frappé au cœur. Je suis peut-être un peu trop barbare, un peu trop nature. Mon opacité intellectuelle m’empêche d’apprécier la poésie délicate, l’insidieuse musique de cette subtile gymnastique.

Mais ça viendra, je l’espère, car je m’efforce toujours de m’assimiler tout ce qui est beau sur terre autant que mon cerveau le permet. Pour le moment, je ne suis pas pingpongnien.

Je regrette d’être si en retard, et mes lecteurs voudront bien passer outre à ce point noir de mon modernisme.

O ! ping-pong adoré des athlètes ! O ! ping-pong chéri des dames ! O ! ping-pong, amour des demoiselles ! O ! ping-pong, séduisant maître et seigneur des salons où l’on «fashionne» ! Je m’incline profondément devant ta terrifiante et douce tyrannie. Tant que tu présideras aux destinées du Canada mondain et dirigeant, notre futur sera à jamais assuré.

J.-D. C.

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