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Texte étrange

Étrange réponse, le 13 avril 1901, à une enquête de l’hebdomadaire montréalais Le Monde illustré auprès de son lectorat. Sous le titre « L’avenir de la Race Canadienne-française d’après un Chinois de Québec », le journal présente d’abord ainsi ce texte :

Nous recevons de Québec une réponse abracadabrante à nos questions sur l’avenir de notre race. Cependant, comme nous respectons toutes les opinions, même celle des Chinois, nous nous faisons un devoir de reproduire cet article dont les conclusions ne manqueront pas d’épater les gens trop sérieux. Allons-y.

* * *

Je ne suis ni archevêque, ni évêque, ni magistrat, ni homme d’état, ni poète, ni prosateur… mais je suis prophète. Voilà sans doute pourquoi vous ne m’avez pas consulté; car tous ceux qui vous répondent affirment qu’ils ne sont ni prophètes, ni fils de prophètes.

Vous savez qu’autrefois Dieu parlait dans les songes… Si cela est encore possible aujourd’hui, écoutez ce que j’ai rêvé la nuit du premier janvier 1901.

Je me trouvai transporté dans un vaste et somptueux édifice, quelque chose de colossal comme on se figure les structures de Ninive et de Babylone. […] Des statues, des tableaux, des fleurs, tout ce que je connais de beau dans la nature et tout ce que je suppose de ravissant dans le ciel, tout était là; et de fait, je me croyais rendu dans une espèce de Paradis Terrestre. Mais ce qui me démontait complètement, dans ce charmant Eden, c’est qu’il n’y avait pas d’autre monde, pas d’autres visages que des Chinois.

Pourtant, ça parlait français tout comme nous autres.

Ce n’est pas tout.

Avec ces Chinois, j’entre dans une grande salle encore pleine de Chinois. Il y avait, dans le fond de la salle, un trône et sur ce trône un Chinois. De chaque côté en amphithéâtre, une longue et triple rangée de fauteuils rembourrés en velours cramoisi; et sur ces fauteuils, des Chinois.

Le Chinois qui était sur le trône avait sur la tête un bonnet de docteur, et il proposait aux Chinois qui étaient sur les fauteuils en velours cramoisi des problèmes en mathématique, en algèbre et en philosophie.

Un problème n’était pas plus tôt posé qu’un Chinois se levait et donnait la solution.

Cette solution, toujours juste, m’étonnait; mais les Chinois, eux, ne paraissaient pas étonnés.

Je me dis : il faut que ce soit de grands savants.

J’eus peur de me faire interroger à mon tour; la honte me prit et je sortis de la salle.

Mais les Chinois, voyant ma confusion, ne se moquèrent pourtant pas de moi. Je pensai en moi-même, voilà des gens polis.

Arrivés dans une autre salle, j’aperçus un grand portique où passait et repassait beaucoup de monde, tous des Chinois, naturellement. Je suivis la foule.

Une voix criait au dehors :
«Venez, venez, peuples de la terre, venez voir la puissance des Chinois.»

Peuples de la terre, me dis-je, ça n’est toujours pas moi, car je suis le seul ici qui ne soit pas Chinois.

N’importe, je me rends dehors comme un seul homme et je regarde… la puissance des Chinois.

Force me fut de regarder en l’air, car tout le tapage venait de là.

Mais qu’y avait-il en l’air ? Des Chinois.

Diables de Chinois, me dis-je. J’avais entendu dire qu’ils passent leur vie sur l’eau, mais les voilà maintenant qui naviguent dans l’air. Toute une flotte s’y agitait : vaisseaux de toutes formes et de toutes grandeurs évolutionnaient avec grâce et rapidité, puis se lançaient, de bord à bord, des fusées semblables à des comètes.

Ce n’était pas du tout «fin de siècle» cette puissance des Chinois dans l’air… Allez donc vous battre contre cela.

Comme je me pâmais d’étonnement et d’admiration, devant cette puissance incroyable, j’entendis une voix semblable au roulement du tonnerre, qui criait : «Venez, venez, peuples de la terre, et rassasiez-vous du pain que les Chinois distribuent à l’univers.»

Aussitôt, je vis apparaître dans les nues un pain aussi gros que la lune dans son plein; et ce pain grandissait, grandissait, en s’approchant de la terre.

J’eus peur qu’il ne vint m’écraser… mais le pain s’arrêta et, au même moment, des milliers et des milliers de petits pains s’échappèrent en rayonnant, comme poussés par une force centrifuge de pain principal qui, évidemment, était la mère de tous les pains.

Et ces petits pains déboulaient en avalanche sur la terre… mais aussitôt qu’ils touchaient le sol, ils se divisaient d’eux-mêmes en belles tranches dont la blancheur et l’odeur provoquaient l’appétit. Il vint en tomber juste à mes pieds.

Tentation irrésistible, je me baissai et ramassai ce pain des Chinois… et j’en mangeai.

C’était délicieux, comme je suppose que fut la pomme du Paradis Terrestre… Mais, hélas ! châtiment de la gourmandise, je fus à l’instant changé en… Chinois !

Je bondis d’une si grande surprise que je m’éveillai la main dans mes cheveux, cherchant la queue obligatoire des fils du Ciel.

Voilà mon songe.

Si vous êtes Joseph ou Daniel, commentez-le.

Pour moi, j’ai fait ma part, et je vous dis que dans cent ans tout le monde sera Chinois.

Que les Canadiens français donc ne se bercent pas de folles illusions, ils seront forcés de devenir Chinois, comme tous les autres… Et c’est ce qu’ils auront de mieux à faire.

Un Chinois de Québec

 

Le drapeau de la République populaire de Chine apparaît sur la page Wikipédia qui lui est consacrée.

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