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Un plaidoyer contre la corneille

Le 24 avril 1897, un quidam, qui signe XXX, écrit au journal La Patrie pour dénoncer la corneille et propose des «matches à la corneille».

Je ne sais si comme moi vous aimez les petits oiseaux, ces charmants petits êtres donnés par Dieu pour orner et charmer la nature, tout en remplissant une mission utile comme d’ailleurs tout ce que le créateur a fait.

C’est pour les protéger que je m’adresse à vous; non pour réclamer des lois sérieuses contre les gamins plus étourdis que coupable. […] Ce n’est pas d’ailleurs les gamins qui font aux petits oiseaux la guerre la plus acharnée, tant s’en faut; l’ennemi de nos chantres ailés du printemps, mais leur ennemi le plus cruel, et dont on ne se doute guère, c’est la corneille.

Vous ne sauriez croire la quantité prodigieuse de nids qu’elle détruit chaque année. Si, comme moi, vous aviez eu le loisir de l’observer un peu, vous ne tarderiez pas à être convaincu de ce que j’avance; car lorsque vous voyez une corneille perchée sur un piquet de clôture ou sur une épinette morte, dans une immobilité presque complète, n’allez pas croire qu’elle ne songe qu’à bâiller. Vous vous tromperiez grossièrement.

Elle est aux aguets, elle a vu un petit oiseau gagner son nid et cherche à le découvrir; malheur à la jeune couvée si elle l’aperçoit, elle en fait sa pâture, soit œufs, soit jeunes à peine éclos. Si la nichée arrive à point et qu’une corneille s’aperçoit du moment où pour la première fois ils essaient leurs faibles ailes, aussitôt elle se met à leur poursuite, suivie bientôt par plusieurs de ses compagnes, et bienheureux ceux qui peuvent leur échapper, car une fois assez forts pour voler librement, ils ont moins à craindre, car elle n’a pas de serres pour les lier. […]

Qui veut la fin prend les moyens, dit la sagesse des nations qui si elle n’est pas toujours vraie l’est dans le cas présent. Si l’on veut voir les petits oiseaux nous aider de leur bec à purger les insectes trop nombreux qui ravagent nos récoltes, si l’on désire avoir la perdrix et les autres oiseaux de rivage faire, en automne, la base de notre gibecière, il faut, dis-je, les protéger en détruisant la corneille par tous les moyens.

L’on dit que, dans les vieux pays, là où il y a des chasses bien organisées, les propriétaires paient une prime aux gardes pour les détruire. Si elles y sont nuisibles, alors qu’elles y sont en nombre, à ce qu’on dit bien moindre qu’ici, vous devez juger de mal qu’elles font au gibier.

Demander au gouvernement de payer pour leur destruction serait peut-être un peu téméraire, car sa caisse ressemble passablement au tonneau des Danaïdes. Il vaudrait donc mieux s’adresser à l’initiative privée; comme il ne manque pas de clubman et de sportsman, qui bien souvent ne savent à quoi dépenser les vingt-quatre heures que le ciel, dans sa grande bonté, leur dispense gratuitement, ne pourraient-ils pas organiser des matches à la corneille, comme en Europe l’on organise des tirs aux pigeons. Le tireur, qui dans un temps donné apporterait le plus grand nombre de becs, serait proclamé vainqueur et toucherait les enjeux.

Le gouvernement, sur ses fonds de réserve, sans trop compromettre l’équilibre de son budget, pourrait offrir 500 piastres en primes : 100 piastres à chacun des deux premiers concurrents, 50 à chacun des deux suivants, puis $25 à huit. Mais aucun ne serait admis au concours s’il n’apportait au moins cent becs.

Pour ces messieurs, ce serait un agréable passe-temps, tout en protégeant leur gibier, et, ce qui serait plus précieux, les auxiliaires indispensables de l’agriculture.

 

Bien sûr, je ne partage pas l’avis de ce trois X. J’aime beaucoup la corneille.

Il y a bientôt, deux ans, le 20 juin 2011, j’y allais d’un plaidoyer en faveur de la corneille sur ce site interactif. Je suis revenu sur la corneille le 4 mars 2012 pour signaler que, dans un grand nombre de communautés québécoises, le «retour» de la corneille en mars était le premier signe de l’arrivée du printemps.

Par ailleurs, un de mes fromagers divise les oiseaux en deux groupes, les désirables et les autres dont il faudrait tout faire pour les exterminer. Dans ce camp, il place les oiseaux noirs, dont la corneille et l’étourneau, ainsi que le moineau et la tourterelle triste. Inutile de vous dire que les conversations ornithologiques entre lui et moi sont bien courtes. Je ne comprends pas que la bête humaine s’arroge un droit de vie et de mort sur les oiseaux, alors que ces derniers étaient là bien avant notre apparition. Chère humanité.

L’illustration provient de l’ouvrage Birds of America, T. Gilbert Pearson et John Burroughs, dir., New York, The University Society Inc., 1923, vol. 2, planche 72, dans la collection Nature Lovers Library.

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