Skip to content

Le précieux pont de glace

En 1900, au Québec, en hiver, si on habite près d’un cours d’eau, partout on espère la formation la plus rapide possible d’un pont de glace. Sauf bien sûr dans le large estuaire du fleuve Saint-Laurent, aux eaux saumâtres. Ailleurs, un tapis de solide glace facilite tellement les échanges. À Québec, on est même prêt à se battre pour la sauvegarde du pont de glace. C’est ce que laisse entendre le journaliste Hector Fabre en 1877.

Le grand événement de l’hiver, à Québec, c’est le pont de glace. Prendra-t-il ou ne prendra-t-il pas ? Telle est la question qui s’agite dans tous les esprits durant le mois de décembre. Chacun a sa théorie pour faire prendre la glace : celui qui n’en a pas est suspect d’indifférence à l’égard de la prospérité de la ville. Chaque soir, les gens se quittent en se promettant que le pont prendra dans la nuit. En se retrouvant le matin, ils ont une excuse toute prête pour le pont qui n’a pas pris. Lorsqu’enfin il prend, c’est un cri de joie à le faire repartir, s’il avait les nerfs sensibles. Tous les gens en état de patiner se précipitent dessus et ne le quittent plus.

Il y a deux ans, un simple armateur, propriétaire d’un vapeur armé pour fendre la glace comme l’onde, conçut un audacieux projet de ravir à Québec son pont. Un matin, comme le pont se formait, il lança l’Artic à toute vapeur pour en briser la clef. À l’instant, la nouvelle de cet attentat se répandit par la ville, et une foule impétueuse accourut sur le rivage en redemandant à grands cris le pont qui s’en allait et en poursuivant l’armateur qui s’en allait encore plus vite. Celui-ci échappa à grande peine à un bain glacé. Heureusement pour lui que le pont survécut à l’attentat et reprit le lendemain. La glace n’en fut que plus solide et plus belle : l’outrage fut oublié.

 

Ce texte provient de l’ouvrage d’Hector Fabre, Chroniques, publié à Québec à l’imprimerie de L’Événement en 1877, p. 11.

La photographie de Louis-Prudent Vallée du pont de glace entre Québec et Lévis vers 1880 provient de Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Collection Centre d’archives de Québec, Documents iconographiques, cote P1000, S4, D60, P24.

Voir aussi cet article sur la rupture du tout dernier pont de glace entre Québec et Lévis en 1898.

No comments yet

Publier un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Vous pouvez utiliser des balises HTML de base dans votre commentaire.

S'abonner aux commentaires via RSS