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Que faire des vieux journaux ?

L’écrivain et journaliste Alphonse Lusignan (1843-1892), qui tient une chronique hebdomadaire au journal La Patrie, pose la question le 28 novembre 1891. Et il écrit que, lui, il tient, pour diverses raisons, à garder la copie des «gazettes» qu’il achète. « Parce que j’y suis malmené… parce qu’il renferme un article de moi… parce qu’il contient des renseignements dont j’aurai besoin pour certain travail. »

Mais des personnes en font un usage étonnant. Et Lusignan raconte :

On se les met entre la peau et les sous-vêtements, et on résiste à tous les froids. Je le crois, d’après ce que j’ai vu d’un de mes amis qui avait placé, un soir de bal, une petite feuille grande comme la main, entre son gilet et son plastron de chemise, afin de protéger celui-ci.

La haute de la haute d’une coquette petite ville du Nord avait un jour présenté un bouquet à quelqu’un comme un vieux colonel du village voisin, riche et fier citoyen qui ne manquerait pas de payer le bouquet par une superbe soirée. Comme de fait. Un jour que j’arrivai dans la petite ville, je trouvai tout le monde en l’air. Les femmes dévalisaient les marchands de nouveautés; les hommes inspectaient chaussures, gants et cravates, et renouvelaient peu d’articles. On me fit inviter au bal — ce qui fut d’autant moins difficile que j’avais connu au collège et ailleurs plusieurs des enfants.

Donc grand gala, bon orchestre, table magnifique, entrain sans arrêt, belles femmes — on dirait, parole ! que dans ces petites villes, dans ces grands villages du Nord, les filles naissent forcément jolies, si j’en juge par ce que j’ai vu de mes yeux à Berthier, Joliette, L’Assomption, Terrebonne, Saint-Jérôme, Sainte-Scholastique, etc.

Une d’elles, espiègle autant que jeune et belle, découvrit, le bal étant commencé, que le monsieur qui lui avait demandé le premier quadrille, un voisin et un intime, portait en plastron de chemise un Weekly Review. Ce journal, que j’avais fondé dans le but de m’emparer des annonces judiciaires de Saint-Hyacinthe, avait bien un pied de long [30 cm], sur autant de large. J’avais rédigé son prospectus, et, sachant peu l’anglais, j’avais, je m’en souviens, promis les articles d’un experimented editor. Les journaux anglais des cantons de l’Est s’étaient permis de rire de ma feuille de chou et de son rédacteur expérimenté.

C’est ce journal que mon ami G. avait placé entre sa chemise et son gilet, par précaution et qu’il avait oublié d’enlever dans la chambre de toilette. Quand madame M. eut, après la danse, promené M. G. tout autour du salon et donné aux dames l’occasion de contempler l’innovation qu’il apportait dans la toilette des messieurs, elle vint à moi et me demanda quelles étaient les dernières nouvelles de Saint-Hyacinthe. Je n’y compris d’abord rien, mais de l’œil elle m’indiqua le plastron, et j’y lus l’accident effroyable arrivé à la pouliche de Nazaire Civalier. M. G. saisit la situation, et, en homme d’esprit qu’il était, rit d’un bon cœur de cet accident, et nous mena au buffet pour noyer sa disgrâce.

 

Source de l’illustration : le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à l’adresse http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/illustrations/accueil.htm, au descripteur «Lusignan, Alphonse, 1843-1892». Il s’agit d’un portrait de Lusignan paru dans Le Monde illustré du 22 septembre 1900.

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