On aura tout vu !
À Montréal, un mariage célébré dans un vitrine ! Et le propriétaire du magasin doit comparaître devant le recorder, le juge de la cour municipale. Sous le titre HONTEUSE PROFANATION, le journal La Patrie du 6 juillet 1905 raconte.
Le recorder Weir a rendu jugement ce matin dans la cause du commerçant Workman, accusé d’avoir illégalement, le 21 juin, offert un spectacle, savoir la célébration d’un mariage dans la vitrine de son magasin, à la vue du public, causant par là un rassemblement de personnes sur les rues et sur les trottoirs, et causant de l’obstruction, le tout sans la permission écrite du maire de la ville.
La preuve, dit le recorder, a établi que le défendeur, qui est un marchand-tailleur, soit par fantaisie ou dans un but de réclame, avait annoncé qu’à la date en question, un mariage serait célébré dans la vitrine de son magasin. Au temps dit, une grande foule, composée d’hommes, de femmes et d’enfants, se rassembla dans la rue et sur le trottoir, dans le voisinage immédiat du magasin du défendeur.
Dans un élan de la foule pour voir le spectacle, plusieurs personnes reçurent des coups et on affirme que des femmes s’évanouirent.
Il n’y a pas de doute, continua M. Weir, que la rues et les trottoirs ont été obstrués, et il s’agit de déterminer si le défendeur en est responsable.
Le règlement No 42 ordonne qu’aucune personne n’emploiera tout objet, bruit ou spectacle tendant à rassembler les personnes dans la rue, sur les trottoirs ou les autres lieux publics, dans un but quelconque, sans la permission écrite du maire.
Dans mon opinion, il s’agit clairement ici d’un tel spectacle très répréhensible.
Il est vrai que dans une ville comme Montréal on doit s’attendre que ses rues soient parfois obstruées, mais la justification du fait dépend de sa cause. Dans les cas de rassemblements, résultant d’événements ordinaires de la vie ou de circonstances légitimes exceptionnelles, nul ne peut être tenu responsable de tels rassemblements, mais toute personne qui emploie délibérément un moyen dans le but exprès de rassembler la foule dans la rue doit être tenue responsable de sa conduite.
Le juge nie qu’il y ait analogie entre le cas dont il est question et les rassemblements qui se produisent quelquefois devant les églises, à l’occasion de mariage fashionables. On doit se rappeler que les églises, de temps immémorial, ont servi la célébration des mariages, et le but de ces cérémonies n’était pas d’attirer une foule tendant à obstruer les rues. Dans le cas présent, le défendeur, au contraire, semble avoir délibérément cherché à rassembler la foule, apparemment pour attirer l’attention sur lui-même et son commerce.
Comme j’ai une discrétion à exercer en infligeant une pénalité, j’ai le droit de peser les motifs du défendeur et les moyens qu’il a employés pour attirer la foule. Je constate qu’il s’est servi, pour atteindre son but, d’une des cérémonies les plus solennelles de la vie, et je crois que sa conduite mérite la plus sévère réprobation. Je ne puis aussi que réprouver la conduite des clergymen, dont les noms n’ont pas été dévoilés devant moi, qui se sont prêtés à cette honteuse profanation d’un rite sacré.
Le recorder conclut au maximum de la peine imposée par le règlement, soit $40 d’amende ou 2 mois de prison.
Il ajoute qu’en vertu du règlement 333, la police aurait été justifiable d’arrêter en cette circonstance les personnes de la foule qui refusaient de circuler lorsqu’elles ont été requises de se disperser.
Quelle cause ! Cela dit, quelle jeune historienne, quel jeune historien nous offrira un jour une grande histoire de la vitrine au Québec, un concept apporté ici par les Anglais au 19e siècle ? Voilà un peu plus de 150 ans que nos magasins nous attirent avec leur vitrine, font étalage public de cette manière. Auparavant, à peu près rien ne distinguait la devanture d’une simple résidence de celle d’un magasin, d’une boutique. Il y aurait très long à dire à ce sujet, bien long à apprendre sur la vie des populations.
Quel sujet interessant en effet; les vitrines. Le magasin général dans les campagnes avait-il un début de vitrine?
Je me souviens qu’au village de Roxton-Falls dans les années 60, avoir admiré le sac d’école en cuir désiré…dans une vitrine qui tenait de la grande fenêtre!
Concernant les règlements municipaux, ils auraient pu s’appliquer ce printemps…ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il y a problème de rassemblement et qu’il faut une permission pour procéder!
Ce serait assez incroyable, chère Vous, un grand ouvrage sur l’histoire des vitrines. Chaque époque avait sa manière de les mettre en valeur. Et que pensez-vous que font les gens qui vont passer leurs fins de semaine dans les grands centres commerciaux, ils vont voir bien sûr des vitrines et des vitrines. Mais je trouve que les centres commerciaux ont perdu le talent que nous avions développé pour la mise en valeur des vitrines. Il n’y a plus guère d’effort d’imagination, chaque vitrine ressemble à sa voisine, dirait-on. Seul le produit diffère.