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Prévert et le raton laveur

Dites, connaissez-vous Jacques Prévert (1900-1977), cet immense écrivain français du 20e siècle ? Non ? Alors, il faut vous procurer ses recueils de poésie Paroles et La pluie et le beau temps. Pour quelques sous, vous les trouverez partout en poche.

J’adore Prévert. Son discours est à la fois si simple et si riche. Il s’amuse avec la langue, lui fait faire des pirouettes, lui donne toutes les couleurs, l’oblige à tous ses possibles. Et il est toujours près des enfants, dont il dit : Ils ont leur langage à eux, un langage de protection. Qu’est-ce que Dieu ? Un petit bonhomme sans queue qui fume sa pipe au coin du feu. Qu’est-ce que l’enfer ? Un petit chemin de fer qui parcourt toute la Terre en récoltant des pommes de terre. Ce sont des philosophes d’une importance capitale.

En 1972, André Pozner réalise en court métrage d’une trentaine de minutes sur Prévert, L’animal en question. Dans ce film, le poète de 72 ans déclare : «Enfant, j’aimais poser des questions, en classe ou ailleurs, au catéchisme par exemple. On ne me répondait pas ou on me disait «Sortez«, ou bien on me disait que ce n’était pas là la question. Pour m’amuser, je pose encore des questions enfantines. Cet enfant n’a pas tellement changé. Je suis trop vieux pour mon âge et à la fois trop jeune pour lui, et je précède encore, tout le temps, ce que je suis. Cet enfant que j’étais, à les entendre, n’avait pas raison. Il avait autre chose, et qui n’était pas qu’à lui. Je l’ai encore, d’autres aussi. Le chat sauvage trouve son herbe à guérir, ou sa chatte à jouir. Dans les rues de la ville, j’ai trouvé mon herbe à plaisir. L’enfant que j’étais, j’ai gardé ses larmes, et j’ai gardé son rire et ses secrets heureux.»

En décembre 1979, le Magazine littéraire français (no 155) publie un dossier sur Prévert. L’un des articles contient de courtes phrases que Prévert prononça dans le film de Pozner, L’animal en question, dont celle ci-haut sur l’enfance. À un certain moment, Pozner amène Prévert près de la cage d’un raton laveur, à Paris sans doute. Deux ans auparavant, dans son recueil Imaginaires, le poète avait parlé du raton. Et voici cette belle réflexion qu’il adresse maintenant dans ce film au raton encagé.

 

Il est bien tard pour faire ta connaissance. J’ai parlé de toi souvent, fallait que je te voie en chair et en os !

J’en avais jamais vu, de raton laveur. Lui, m’avait jamais vu non plus.

C’est un animal composé d’une âme et d’un corps. Non, c’est moi. Je me suis trompé de définition. C’est un animal… un animal. Tandis que moi, je suis un animal supérieur. C’est pour ça que j’ai l’air de ne lui faire aucun plaisir. Et je le regrette.

On t’a appelé «raton laveur». Paraît que tu laves tout ce que tu manges. C’est des histoires qu’on a racontées sur toi, peut-être. Et toi tu es là. T’es en cage, en cabane. Mais je suis venu tout de même pour te dire bonjour. Je t’avais jamais vu. Maintenant je te regarde. Toi, tu ne me regardes pas, t’as raison, tu t’en fous.

Moi, je suis un humain — toi, t’es un raton laveur. Il y a une différence. De quoi on est faits tous les deux ? Dis-moi ce que tu penses, raton laveur. Ce que tu penses des cages, ce que tu penses d’un tas de choses. Qu’est-ce que tu penses de la guerre du Viêt-nam, raton laveur, toi qui es en cage ? Qu’est-ce que tu penses de toutes les prisons, hein, toi qu’on a appelé raton laveur ? Ben, je te salue. J’ai de la sympathie pour toi. Je ne t’avais jamais vu, je t’ai vu aujourd’hui, mais j’avais parlé de toi. À tort et à raison. Tu n’as pas l’air heureux, raton laveur. Tu cherches la liberté ? Tu sais ce que c’est, mais t‘as pas de mots pour l’expliquer. Les hommes l’expliquent, et l’enferment.

 

La photographie de Prévert et le raton laveur, d’André Pozner, paraît dans ce dossier du Magazine littéraire de décembre 1979. Et voici la tombe de Jacques Prévert au cimetière d’Omonville-la-Petite, en Normandie, une photographie de Ji-Elle. Le jeune raton, lui, fut photographié l’été dernier à Saint-Colomban, au nord de Montréal, par Steve McMullen; l’adorable bête, véritable peluche pour enfant, avait trouvé refuge sur la roue de son camion.

 

 

 

 

 

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Aujourd’hui même, 21 juin 2012, dans le journal montréalais La Presse, Pierre Foglia, dans sa chronique, nous offre ce passage intitulé Naissances :

Je vous bassine depuis le début du printemps avec mon couple de porcs-épics qui, vous disais-je, aura son bébé vers la fin mai. C’est écrit dans mon livre sur les mammifères du Québec: le petit du porc-épic (un seul rejeton par couple, les jumeaux sont rares) naît entre mai et juin.

Eh ben rien du tout! Sont toujours dans leur arbre, mais pas de bébé. Soit ce sont des vieux qui ont choisi mon bois comme maison de retraite, soit ce sont des gais.

Je vous ai pas parlé aussi de la ratonne laveuse qui nous visite depuis le début du printemps, fout le bordel la nuit sur la galerie, depuis quelques semaines, les tétines qui lui pendouillent sous le ventre nous disaient assez clairement qu’elle avait des petits.

Elle est venue nous les montrer avant-hier soir. On l’a vue déboucher de derrière la grange suivie de quatre petits nonos masqués, adorables bien sûr, le raton laveur, cet emmerdeur pilleur de poubelles, fouteur de bordel dans les granges et les garages, fabrique parmi les plus beaux bébés de la création.

Les quatre petits bandits marchaient en troupeau derrière elle, collés les uns aux autres, ondulant d’un seul dos. Elle nous les a amenés sur la galerie: sont beaux, non?

Sont écoeurants, ma fille.

De la galerie, elle est allée à notre grand hêtre, les a installés sur une haute branche où ils ont joué un peu à la couraille et puis se sont endormis.

Hier matin, ils étaient partis.

6 commentaires Publier un commentaire
  1. Mariette Provencher #

    Quel beau texte sur ce petit diable qui n’en finit pas de vider les mangeoires des oiseaux, qui jette par terre après coup les dites mangeoires et tout ce qu’il trouve dans le petit coin de terre qu’il a maintenant choisi comme le sien pour le malheur de l’humain qui s’en croyait le propriétaire. Je l’aime ce coquin, je n’y peux rien. En rencontrer un pour vrai, j’essaierais de le convaincre de venir habiter chez moi. Moyennant certaines conditions, bien entendu. Conditions qu’il refuserait et c’en serait fini de mon rêve de remplacer mon amour de chat dont je pleure toujours le départ après plus d’un an.

    18 août 2023
  2. Jean Provencher #

    Qui sait. Peut-être le prendre très jeune. Mais encore. Il aurait plein de trucs dans son sac, ce gripette

    18 août 2023

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