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Échos de l’exposition de Suzor-Côté

Le 4 octobre dernier, sur ce site, nous parlions d’une exposition du peintre Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté à la galerie Scott, rue Notre-Dame à Montréal. Nous disions qu’aujourd’hui, en 2011, qui aime Suzor-Côté se prend à rêver à cette exposition. Une dame, qui signe simplement Mme Dandurand, s’y est rendue. Elle en fait un formidable éloge. Voyez son texte dans le journal La Patrie du 8 octobre 1901.

Un peu de fierté se mêlait l’autre jour à notre admiration devant les toiles que M. Suzor-Côté — retour de France — expose chez Scott. Comme on est habile à s’attribuer le moindre avantage qui peut nous revenir d’un héritage lointain, nous nous disions : L’auteur de cette exposition de peintures, dont quelques-unes sont très remarquables, c’est l’un des nôtres. Et notre orgueil y trouvait son compte, pour si peu qu’il y eut à y voir.

Mais quel malheur qu’un pays qui a déjà un art — et de telles productions le prouvent — n’ait pas de critiques d’art ! Quel dommage que notre jeune peintre ne trouve en ses compatriotes que des spectateurs charmés, mais muets !

La somme de talent et de travail, représentée par la collection de tableaux rapportés par M. Suzor-Côté après un séjour de deux ans en France, méritait d’être appréciée par un juge compétent. Une telle autorité ne se présentant pas et l’événement d’une exposition de peintures importantes à Montréal par un artiste canadien ne pouvant être passé sous silence, le simple spectateur est peut-être en droit de dire tout simplement les impressions que lui a causées le panorama des paysages de France, l’étude si finement observée qu’elle en est philosophique, des types de là-bas qui se trouvent être aussi ceux de chez nous.

En fixant sur sa toile les traits des paysans normands, le jeune Canadien devait revoir en pensée leurs cousins d’Amérique, ceux du village natal — si tendrement aimé quand il est si loin — et son cœur a dû guider sa main.

C’est peut-être le secret de la force et du bonheur d’expression que M. Suzor-Côté a trouvés pour rendre hommes et choses dans le tableau intitulé Entre voisins. Car en art aussi : le cœur a ses raisons… la sensibilité d’âme est la suprême adresse, la sincérité la plus sûre technique.

Ici, le simple spectateur a la satisfaction de se trouver d’accord avec les experts. Entre voisins a obtenu une médaille à l’Exposition Universelle. Au Salon de cette année, à Paris, parmi tant d’œuvres de maîtres, il a été fort remarqué et loué.

Il est le centre d’attraction, à la salle Scott, au milieu des coins de nature ensoleillés, des sous-bois ombreux et des scènes crépusculaires où le jeune peintre excelle. Son foyer lumineux attire l’œil et le retient.

Ils sont là trois campagnards qui se chauffent et fument tout en devisant de leurs affaires. L’un d’eux assis et nous faisant face reçoit en plein sur ses mains tendues à la flamme, sur sa tête grisonnante, le reflet rougeoyant qui seul fait le jour dans la cuisine sombre.

Et le peintre, j’allais dire le poète, a saisi sur le vif, si l’on peut dire, l’âme du feu, ce pouvoir de transfiguration de la flamme divine idéalisant toute forme. La pelle et le tisonnier pris eux aussi dans le rayon magique, allongent sur la paroi toute rose de la cheminée leur ombre solennelle. Le brave paysan lui-même, avec ses sabots, la pièce trop neuve au pantalon décoloré, ses mains de travailleur, participe de l’apothéose sous le flot jaillissant de lumière qui pénètre chaque cheveu de ses mèches blanchissantes. La poésie du feu, l’art du peintre le transforment et, comment dirais-je, le spiritualisent comme fait l’auréole au front des martyrs.

Pour résumer simplement une impression compliquée : C’est beau, c’est vraiment beau. Dans l’impuissance d’analyser savamment d’autres tableaux frappants, on est réduit à répéter la même formule pour une Étude de tête d’une vérité presque trop intense, pour la Plus vieille chaumière de Cernay (France) qui est une églogue en couleurs, pour une Tombée de nuit d’une pénétrante mélancolie, pour de charmants paysages qui rallument dans le souvenir les heures d’été finies.

Ce sera encore un procédé de critique simpliste que la conclusion de ces quelques notes : Allez-y voir, voilà ce que je conseille à tous.

Pour notre peuple si bien doué, mais si peu gâté sous ce rapport, de pareils spectacles, réconfortants pour notre fierté nationale, valent un cours d’art. On y trouve une occasion rare d’éduquer notre œil et notre goût en apprenant à distinguer de vraies productions artistiques des articles de commerce qu’on y substitue si souvent en des pays comme le nôtre peu cultivés sous le rapport des arts.

Un grand nombre de tableaux de M. Suzor-Côté portent déjà la petite étoile rouge qui, en les indiquant comme vendus, prouvent que l’exposition a été fort achalandée. À la bonne heure ! C’est un symptôme consolant pour qui s’intéresse aux progrès de l’art dans notre pays que la préférence donnée à un petit tableau original et signé, sur les grandes machines coloriées qu’on avait coutume de suspendre en des cadres prétentieux aux murs de nos maisons.

M. Suzor-Côté a reçu les palmes académiques du gouvernement français à la suite de l’exposition du tableau Entre voisins au Salon de Paris.

Remercions la mère-patrie de récompenser pour nous le mérite des nôtres. Espérons que nos gouvernements feront bientôt leur part dans la protection de l’art et des artistes canadiens.

Avec sa plume si magnifique — nous n’avons pas osé interrompre son texte —, cette dame Dandurand nous donne véritablement à voir cette fort belle exposition de Suzor-Côté.

Source de l’illustration : http://genealogie.perrotamerica.com/Famille/d0004/g0000005.html

 

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