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La messe d’un revenant (2/2)

Nous voici en France, en Loire-Atlantique, en plein bois, sur la route, entre Saint-Jean-de-Boiseau et Le Pellerin. À minuit, le soir de la Toussaint, le cocher et une dame qu’il va conduire à Nantes passent près de la chapelle de Bethléem fermée au culte depuis de très nombreuses années. Mais, ô surprise, il y a de la lumière. Le cocher descend donc de voiture pour aller voir sous l’ogive de la porte principale ce qui s’y passe. Médusé, effrayé, il revient en vitesse en disant à sa passagère «Sauvons-nous».

Retrouvons le fil de cette histoire commencée hier et racontée par Louis Fréchette.

 

Voici ce qu’il avait vu et entendu.

Au premier coup d’œil, à la lueur des cierges allumés sur l’autel, il avait aperçu un prêtre en chasuble, debout aux pieds des degrés, et qui disait d’une voix plaintive et lugubre :

— Introibo ad altare Dei !

Trois fois le prêtre répéta ces premières paroles du service divin, en faisant une longue pause à chaque reprise.

La troisième fois, il attendit un peu plus longtemps, la tête penchée en avant comme sous le coup d’un accablement désespéré; puis il se retourna lentement pour regarder autour de lui…

C’est à ce moment-là que le cocher était tombé à genoux, les cheveux dressés d’épouvante.

Ce prêtre avait une tête de mort !

En une seconde, la vision avait disparue, et l’intérieur de la chapelle était rentré dans les ténèbres.

Comme dans la légende canadienne, de retour chez lui, le cocher, tout abasourdi, alla rapporter à son curé ce dont il avait été témoin.

Le prêtre devint pensif.

— Aurais-tu le courage d’y retourner ? demanda-t-il après un instant de silence.

— Y retourner ? … ah ! mon Dieu !

— Pour sauver une âme du purgatoire ?

— Quand ?

— L’année prochaine, à pareille date et à pareille heure.

— Malheur ! …et pourquoi faire ?

— Pour sauver cette âme en disant les répons de la messe.

— Je ne les sais pas.

— Je te les enseignerai.

Le pauvre homme accepta courageusement sa mission de dévouement.

L’année suivante, le soir de la Toussaint, à minuit, il était là, seul, debout dans la porte de la chapelle solitaire, tremblant de tous ses membres, mais résolu à tout braver pour l’amour de Dieu et du devoir.

Tout à coup, la chapelle s’éclaira, le prêtre fantôme apparut dans la porte de la sacristie, et, le calice à la main, vint se placer en face de l’autel.

Introibo as altare Dei ! dit-il de sa voix lugubre.

— Ad Deum qui lætificat juventutem meam, répondit la voix qui venait du fond de la chapelle.

C’était le brave cocher qui, dominant la peur, répondait courageusement à cette voix de l’autre monde.

Les deux voix alternèrent longtemps.

Dominus vobiscum ! disait le prêtre en tournant vers la nef sa bouche sans lèvres et ses yeux sans orbites.

Et cum spiritu tuo ! répondait l’autre voix toute tremblante d’émotion.

Et la messe continua ainsi jusqu’au bout.

Au moment de la bénédiction, le fantôme se retourna une dernière fois; la tête de mort hagarde et grimaçante avait disparu pour faire place à une figure vaguement lumineuse et empreinte d’un ineffable sourire.

Et le cocher, à genoux, entendit une voix aux intonations célestes, qui disait :

— J’étais condamné à venir ici tous les ans, dans la nuit de la Toussaint, jusqu’à ce qu’il se trouvât une âme charitable pour m’aider à dire une messe négligée par moi lorsque j’étais sur la terre. Il y a six cents ans cette nuit que mon châtiment dure. Qui que vous soyez, je vous dois mon salut, soyez béni, vous et les vôtres, jusqu’à la septième génération !

En faisant de la main une grande croix dans le vide, le prêtre ajouta :

Benedicat vos omnipotens Deus, Pater et Filius et Spiritus Sanctus !

Et le dernier Évangile récité, la vision disparut.

Or, depuis cette époque, dit en concluant la personne qui me faisait ce récit suivant la promesse du prêtre, la bénédiction du ciel a paru s’attacher tout spécialement à cette famille. Tous ses membres ont prospéré d’une façon particulière.

Maintenant croira qui voudra à cette légende.

En la racontant dans ses détails, j’ai voulu seulement signaler la curieuse ressemblance qui existe entre le récit breton et celui de M. Chauveau, ressemblance qui démontre que tous les deux, malgré leur localisation si différente, ont évidemment la même origine.

Louis Fréchette

 

Je n’ai pas pu trouver sur la grande Toile si cette légende s’est complètement perdue aujourd’hui dans cette région de Loire-Atlantique, en France, là où est la chapelle de Bethléem. J’ai l’impression que seul un ethnologue de là-bas pourrait nous venir en aide à ce sujet.

Ci-haut, une gravure ancienne de la chapelle de Bethléem. On la trouve sur le site suivant qui lui est consacré.

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