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La messe d’un revenant (1/2)

Au Québec, il s’est vu des prêtres après leur mort revenir dire une messe ici-bas. Des histoires de revenants. Ça se racontait dans des coins comme Lotbinière et Saint-Jean-Deschaillons, sur la rive sud du Saint-Laurent. Nous l’évoquions le 12 mars 2013.

Le poète et écrivain Louis Fréchette croit que les Québécois ont beaucoup en commun avec «les Bretons de la Loire Supérieure, ceux que les Bretons du Morbihan — la vraie Bretagne bretonnante, celle-là — nomment avec une nuance de mépris les Gallots.» Dans l’hebdomadaire La Tribune, du 7 septembre 1894, il écrit : «Un de ces points de rapprochement, c’est une similitude frappante, dans les récits populaires, entre leurs légendes et quelques-unes des nôtres.»

Ainsi, Fréchette a-t-il trouvé en France cette légende du prêtre décédé revenant dire sa messe dans notre monde, dans des coins comme Lotbinière et Saint-Jean-Deschaillons, et dont avait parlé son confrère, «M. Chauveau», en 1880.

 

À une demi-heure de marche du Pellerin, petit bourg situé sur la rive gauche de la Loire, à cinq lieues de Nantes, à peu près, se trouve une ancienne chapelle qu’on nomme la chapelle de Bethléem.

C’est une petite bâtisse carrée appartenant au style gothique de la première époque, et dont on fait remonter la fondation au temps des Croisés.

Elle est sise au bord de la grande route qui circule ici en plein bois, entre un coteau couronné de grandes futaies, et un ravin qui se creuse en face, mystérieux et solitaire.

Au mur latéral du petit temple, dans une niche grillée, au-dessus d’une fontaine tarie, on a placé une madone en plâtre, devant laquelle les paysannes et les chevrières du voisinage ne manquent jamais de se signer en passant.

Sous l’ogive de la porte principale, il y a une claire voie qui permet de voir vaguement ce qui peut se passer à l’intérieur.

Dans le siècle dernier, le chemin royal ne suivait pas cette direction; et c’est sa position isolée au milieu d’un bois, qui, sous la révolution, sauva l’humble sanctuaire du sort qu’on fit subir à toutes les églises des environs.

On prétend que cette chapelle fut construite par quelque châtelain ou châtelaine de l’endroit, au temps des Croisades, en accomplissement d’un vœu quelconque.

Vous concevez que l’imagination populaire n’a pas manqué de broder un peu là-dessus.

Il existe même un roman qui porte ce titre : La chapelle de Bethléem.

L’auteur, Mme d’Isole, me contait en riant que des antiquaires ou des archéologues de Nantes s’étaient passionnés pour ce récit, étaient allés faire des fouilles sur les lieux, et prétendaient avoir retrouvé des restes de tombeaux et les traces d’un château, qui n’avaient existé que dans le cerveau du romancier.

Et remarquez que ces savants tenaient l’auteur lui-même au courant de leurs découvertes avec un empressement… et des détails…

Si bien que l’écrivain finit par se demander un jour — comme le Marseillais qui avait annoncé l’apparition de la fameuse baleine — si par hasard il n’avait pas deviné juste.

Mais revenons à ma légende.

Voici ce qu’on m’a raconté :

Un certain jour de la Toussaint, une dame du Pellerin, qui voulait se trouver à Nantes de très bonne heure, le lendemain, pour faire ses dévotions du jour des Morts, avait donné ordre à un cocher de venir la prendre à la pointe du jour.

Or il n’était pas encore minuit, que tous deux trottaient dans la direction de Nantes.

Le cocher avait pris les vagues clartés de la lune levante pour les premières lueurs du jour. Il avait éveillé la dame, et ils s’étaient mis en route.

De telle sorte qu’ils se trouvèrent à passer devant la chapelle de Bethléem à minuit juste.

À leur grande surprise, la chapelle était éclairée.

Qu’est-ce que cela signifiait ?

On n’était pas entré là depuis des années; il y avait du mystère pour sûr.

— Voudriez-vous aller voir ce qu’il y a ? demanda la dame à son cocher.

— Ah ! dame, oui !

— Vous n’avez pas peur ?

— Ah ! dame, non !

En Bretagne, on ne dit jamais ni oui ni non, sans le faire précéder du mot dame. C’est de rigueur.

Toujours est-il que le cocher, en homme qui n’avait pas froid aux yeux, descendit de voiture, et se dirigea droit vers la porte de la chapelle, d’où — je l’ai dit plus haut — on pouvait inspecter l’intérieur.

Mais à peine avait-il collé pour quelques instants son œil à la vitre, que le pauvre homme tombait à genoux, puis remontait précipitamment en voiture en disant :

Sauvons-nous !

 

Cet article se poursuit demain.

L‘illustration ci-haut, une photographie de Selbymay, est celle de la chapelle de Bethléem en Loire-Atlantique, entre Saint-Jean-de-Boiseau et Le Pellerin. Elle provient de la page Wikipédia consacrée à ce petit lieu de culte remontant au Moyen Âge, où se serait passée cette légende du revenant venu dire sa messe.

3 commentaires Publier un commentaire
  1. Jean Provencher #

    Mon ami Jacques Bertin ajoute ce commentaire sur cette phrase de Fréchette :

    «Le poète et écrivain Louis Fréchette croit que les Québécois ont beaucoup en commun avec «les Bretons de la Loire Supérieure, ceux que les Bretons du Morbihan — la vraie Bretagne bretonnante, celle-là — nomment avec une nuance de mépris les Gallots.»

    La « Loire supérieure », j’imagine que c’est, selon Fréchette, le « Pays gallo ». (Gallo au masculin, gallèse au féminin – même origine que le mot gaulois). Mon père était un Gallo. Le pays gallo, c’est en gros l’est de la Bretagne (départements d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique et la moitié des Côtes-du-nord et du Morbihan), où la langue bretonne ne s’implanta jamais mais où l’on parlait tout simplement un patois français.

    6 octobre 2013

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