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Sur le thème « Où commence la mort ? », le journal Le Monde propose un dossier (Second de deux billets)

Hier, nous évoquions un dossier fort intéressant sur la mort paru dans le journal français Le Monde préparé par Pierre Lepidi et Pascale Santi. L’un des trois articles longs est une rencontre avec Jean-Claude Ameisen, médecin, immunologiste, chercheur en biologie, dirigeant le Centre d’études du vivant de l’université Paris-Diderot. Voici d’autres extraits de son propos.

Changeons encore de perspective et prenons pour sujet du verbe « mourir », non plus « la » vie en tant que telle, ni une espèce vivante, une fleur, un animal ou un être humain, mais les composants élémentaires du vivant. Depuis ses origines, c’est sous forme de cellules que le vivant s’est propagé à travers le temps. Nous naissons d’une cellule unique, et nous nous transformons en une constellation de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules dont les interactions engendrent notre corps et notre esprit.

Et pour cette raison, toute interrogation sur la vie et la mort nous renvoie à une interrogation sur la vie et la mort des cellules qui nous composent. Aujourd’hui, nous savons que toutes nos cellules possèdent, à tout moment, la capacité de s’autodétruire. Leur survie dépend, jour après jour, de la nature des interactions provisoires qu’elles sont capables d’engager avec d’autres cellules, et qui, seules, leur permettent de réprimer leur autodestruction.

Pour Darwin, la mort était l’un des moteurs essentiels de l’évolution du vivant. Dans son esprit, elle ne pouvait surgir que de l’extérieur — de la destruction, de la famine. Mais l’émergence et l’évolution, au cœur même du vivant, d’une forme contrôlée de déconstruction ont pu paradoxalement contribuer à la capacité d’un vivant à voyager à travers le temps et à donner naissance à la nouveauté et à la diversité.  Il est possible, aussi, que la pérennité de la vie ait résulté d’une capacité de chaque corps, de chaque cellule, à utiliser une partie de ses ressources pour construire, au prix de sa disparition prématurée, des incarnations nouvelles. […]

Et les deux journalistes Lepidi et Santi de lui demander : Vous avez dit que nous sommes faits de mémoire, de la mémoire des morts. Que répondez-vous à ceux qui parlent de la vie après la vie ?

Nous sommes faits de l’empreinte, en nous, de ce qui a disparu, de ceux qui ont disparu. Nous sommes faits d’absence. De la présence de l’absence. Des milliards d’années d’évolution du vivant qui nous ont donné naissance. Des dizaines de milliers de générations qui nous ont précédés et qui nous ont légué ce merveilleux présent de la richesse et de la diversité des cultures humaines. Du souvenir des femmes et des hommes que nous avons connus, et qui ont disparu ; cette part de chacun de nous qui survit dans l’univers mental des autres est une forme de « vie après la vie », étrange, belle et fragile. Y en a-t-il d’autres ? Je ne le sais pas.

 

« Nous sommes faits de l’empreinte de ce qui a disparu », Propos recueillis par Pierre Lepidi et Pascale Santi. Le Monde (Paris), cahier Science & médecine, 30 octobre 2019, p. 4.

La réflexion de ce médecin Jean-Claude Ameisen est formidable !

La photographie de Jean-Claude Ameisen provient d’un site de France Culture.

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