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Et d’où vient-on ?

Bien avant la vie, il y eut sans doute des fractales, découverte récente d’un mathématicien franco-américain Benoît Mandelbrot. Ce sont ces formes irrégulières jamais conçues par Euclide, ce mathématicien de la Grèce antique, qui nous a donné les droites, les cercles, les triangles, les rectangles, etc., travaillés au moyen de la règle ou du compas.

Et ces fractales, la Nature les reprendra jusqu’à nous, objets de beauté indicibles sur lesquels nous arrivons mal à mettre des mots : « un flocon de neige sur la vitre d’une fenêtre en hiver, un nuage à la forme délicate qui flotte dans le ciel azuré, ou encore une feuille au dessin tout en finesse sur un arbre » [Trinh Xuan : 169].

L’irrégularité qui caractérise ces créatures aux formes irrégulières se répète à toutes les échelles. Pensons aux feuilles de fougères depuis le début du pétiole jusqu’à la penne de division primaire. Notre réseau sanguin, nos poumons, nos bronches possèdent une structure fractale. Les poupées gigognes également tiennent de la fractale. La fractale a pour but d’empaqueter la plus grande surface dans le plus petit volume [Trinh Xuan : 175].

Et le chaos est frère de la fractale. Les attracteurs étranges qui font qu’on distingue bientôt un ordre dans le chaos, une répétition du même motif à toutes les échelles, un mouvement repris et repris, démontrent à leur manière la présence de la fractale. Le tourbillonnement de feuilles mortes à l’automne sous l’effet du vent, empêchées de fuir parce que coincées sur trois faces jusqu’aux immenses systèmes cycloniques faisant une course identique et visibles de l’espace nous montrent que le désordre qui agite l’atmosphère est un continuum. Il y a une structure organisatrice de nature fractale cachée à l’intérieur de la complexité du chaos, enfouie dans la structure du mouvement [Gleick : 143, 151, 156].

Il y avait donc des comportements antérieurs, révélés ou non, que nous sommes à découvrir en ce moment. Mais la vie, elle, quand donc apparaît-elle ?

Il y a débat au sujet des débuts de la vie sur la Terre. Le biologiste français Éric Karsenti, tout en citant les roches ferrugineuses de la formation de Nuvvuagittuq, au Québec, interprétées comme étant des précipités de sources hydrothermales remontant à au moins 3,8 milliards d’années, rallie la thèse des fumeurs noirs. Ceux-ci sont localisés entre 2 000 mètres et 8 000 mètres de profondeur aux zones de jonctions entre les plaques tectoniques qui constituent la croûte terrestre.

Fort profondément, ces sources thermales chaudes provenant du cœur même de la Terre accueillent dix mille, voire cent mille fois plus d’organismes que sur les restes des fonds marins. « Crevettes sans yeux, poulpes, vers étranges privés d’intestins et mollusques se nourrissent directement de bactéries vivant à haute température — elle sont extrêmophiles — et capables d’utiliser des molécules produites par les fumeurs ! D’après le séquençage de leur ADN, des biologistes ont conclu qu’elles constituent de très lointains ancêtres des bactéries que nous connaissons » [Karsenti : 101].

Puis, immense saut dans le temps, voici les algues bleues qui arriveront à prendre pied sur la terre ferme. Elles seraient les tout premiers êtres à sortir de l’eau. Le rôle de ces algues est majeur dans la vie hors de l’eau, elles sont à l’origine de la photosynthèse, donc de la transformation de la lumière menant à la production de chlorophylle, faisant de la Terre un lieu vivable pour la suite du monde.

Chez moi, les enfants premiers des algues bleues sont les mousses. Plante terrestre encore primitive, la mousse demeure très dépendante de milieux humides, au moins une partie de l’année [Albouy : 13]. Elle n’a pas de racines, se nourrit lentement de ce qu’apporte le vent et, si ses assises sont diverses, elle préfère tout de même la pierre, peut-être parce que celle-ci offre une température plus régulière. Donc, rien de mieux qu’un cimetière de roches et il s’en trouve en grand nombre au Québec. Ses rhizoïdes, parfois bien visibles, sont les ancêtres des racines, mais ne lui permettent pas de se nourrir d’éléments du sol.

Et il faut prendre plaisir à passer sa main sur les mousses. C’est la douceur même venue de très loin, du début de notre temps.

La Mésange à tête noire, dit-on, utilise un mélange de mousse, de cheveux et de plumes pour la confection de son nid [Nuttall : 147].

Et le grand poète américain Walt Whitman a déjà écrit : Je vois, incorporés en moi la mousse, les fruits, les grains et les racines [Whitman : 75].

 

Albouy, Vincent, Pollinisation, Le génie de la nature, Versailles, Éditions Quae, 2018.

Gleick, James, La théorie du Chaos, Vers une nouvelle science, Paris, Flammarion, 1991.

Karsenti, Éric, Aux sources de la vie, Paris, Éditions Flammarion, 2018.

Nuttall, Thomas, Manual of the Ornithology of the United States and of Canada, 1832.

Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l’harmonie, La fabrication du réel, Paris, Gallimard, 1998.

Whitman, Walt, Walt Whitman, ses meilleurs pages traduites de l’anglais par Rosaire Dion-Lévesque, Montréal, Les Elzévirs, 1933.

 

Ce billet est le dix-millième sur ce site.

2 commentaires Publier un commentaire
  1. Bravo pour ce 10,000ème billet de blogue! Un bel exploit.

    5 mars 2019
  2. Jean Provencher #

    Merci, cher Sébastiou, merci beaucoup. Et merci de ton appui dans ce projet avant même qu’il soit mis en route. Tu m’as tellement encouragé à entrer dans ce monde. Comme pour l’usage de l’informatique en 1980, avec l’Orange, rappelle-toi.

    5 mars 2019

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