Malbrough s’en va-t-en guerre fait jaser
À la fin du 19e siècle, cette chanson est bien connue au Québec. Et elle revient çà et là dans les nouvelles.
Ici, un journaliste new-yorkais, de passage au Québec, l’entendant à Pont-Rouge le long de la Jacques-Cartier, dans Portneuf, l’utilise pour ridiculiser la population parlant français.
Un quotidien de Québec relève ce propos.
Un correspondant d’un grand journal de New-York, —le Herald — a poussé une pointe, il y a quelques jours, dans notre pays.
Nous regrettons de dire qu’il en a rapporté une assez fâcheuse impression et qu’ayant été mis à même d’étudier nos mœurs et nos usages, il n’en a saisi que le mauvais côté et s’est plus préoccupé de nous ridiculiser que de nous rendre justice.
Ce correspondant écrit donc à son journal que passant dans un village de la province de Québec — au Pont-Rouge, paraît-il — il a entendu des gens du pays chantant Malbrough s’en va-t-en guerre, et il suppose que c’est une chanson venant en droite ligne, à travers les générations, des ancêtres des habitants actuels. Or, de cette hypothèse, il tire cette conclusion que ces gens sont arriérés et sont encore au temps de Louis XIV.
Un journaliste français des États-Unis, relevant ces balivernes, y répond comme suit :
Évidemment, il ne conçoit pas que les Canadiens puissent vivre heureux sans avoir appris la langue de leurs voisins, les Américains, et sans connaître les chansons anglaises plus ou moins idiotes qui se chantent dans les rues de New-York. Le correspondant, qui prend la peine d’analyser sérieusement la chanson de Malbrook, et même d’en rapporter textuellement des couplets en français, ignore évidemment que c’est là une chanson sans portée aucune et relativement moderne qui court partout les rues en France, dans les villes et dans les villages, et que chantent dans les moments de bonne humeur les enfants et les grandes personnes des deux sexes et de toutes les conditions. Il commet une grosse erreur quand il en déduit que les Canadiens-Français sont arriérés au point de vue littéraire. Qu’il se détrompe. La province de Québec est aussi avancée pour le moins que la province d’Ontario. On y parle français, il est vrai, ce qui ne veut pas dire qu’on ne vaille pas ceux qui baragouinent l’anglais. Et il existe parmi ces Français du Canada une littérature très littéraire et très philosophique, de beaucoup supérieure à ce que produit, si elle produit quelque chose, la population anglaise du Dominion. On y conserve les traditions, il est vrai, mais on n’en a que plus de droit au respect des gens intelligents.
Le Canadien (Québec), 26 septembre 1888.
L’image coiffant cet article provient de La Bonne Chanson, dix albums qu’on appelait Cahiers, parus de 1938 à 1951, du musicologue Charles-Émile Gadbois (1906-1981). Elle apparaît dans la série de manuels Chantons la bonne chanson à l’école, 1957, Première, deuxième et troisième années, faisant partie du programme officiel du cours primaire, manuels approuvés par le Comité catholique du Conseil de l’Instruction publique.
Question. Est-ce que les jeunes d’aujourd’hui au Québec connaissent cette chanson, même simplement son air ?