Les chevaux noirs qui bâtissaient des églises
Dans diverses paroisses québécoises, court la rumeur que l’église paroissiale fut construite par un cheval. À Saint-Augustin-de-Desmaures, par exemple.
L’ayant appris à la lecture d’un ouvrage de James MacPherson LeMoine, le chroniqueur Auguste Béchard la reprend. Nous sommes à Saint-Augustin.
« Au bas des côtes, sur la grève près du moulin à farine et presqu’en ligne avec le Calvaire, bâti en 1698, se voient les rares décombres de la vieille église de Saint-Augustin, de gros cailloux d’un poids énorme. La tradition veut que le diable, sous forme d’une fort cheval de trait, un étalon noir, encore plus trapu que le Percheron de la société d’agriculture, « Napoléon III » ait été employé à voiturer ces blocs. C’était un de ces hennissants étalons, chantés par le poète Dupont :
« Sa robe est un beau satin noir.
Ses naseaux jettent sang et flamme.
Son œil est comme un grand miroir.
« Au reste, ce n’est pas la seule église, en Canada, dans la construction de laquelle le diable a joué un rôle, je ne dirai pas au moyen des procès et de la discorde qu’ils engendrent, au point de faire élever jusqu’à deux églises dans une seule paroisse, comme aux Trois-Pistoles, mais comme simple bête de somme.
« Les bons paroissiens de Sainte-Famille (sur l’île d’Orléans) m’autorisent à filer (filer !… anglicisme de la plus belle eau pour signifier) aux gens de Saint-Augustin un protêt comme le monopole que ces derniers réclament de sa satanique Majesté comme constructeur d’églises. Eux aussi, paraît-il, ont eu à leur solde cette superbe monture.
« Le point capital a toujours été de brider le maudit animal. Pour cela, il fallait un maître homme. Bien bridé, il devenait un bon diable ; mais la bride, la précieuse bride, il fallait la lui laisser, jour et nuit.
« Le bedeau de Saint-Augustin, pour l’avoir débridé, un jour, à l’abreuvoir, faillit presque ruiner la fabrique. L’animal disparut en fumée avec une odeur de soufre ; comme l’on ne faisait que de commencer à charroyer la pierre de la maçonnerie, le budget de la dépense de l’église fut doublé. Morale : mes amis, quand vous ferez boire votre cheval, en pleine campagne, ne le débridez pas, si c’est un fringant cheval noir.
« Cet incident repose sur le foi d’une vénérable tradition. »
A. B. [Auguste Béchard]
La Patrie (Montréal), 8 avril 1893.