La création de la lune selon un mythe chez les Cashinawas, une communauté amérindienne du Pérou
Peut-être n’êtes-vous pas sans savoir comment la lune fut créée. Les Cashinawas du Pérou, eux, ont leur idée à ce sujet. Les voici la racontant.
L’homme s’est coupé le cou et a laissé sa tête là.
Les autres sont allés la chercher.
À peine arrivés, ils ont mis la tête dans un sac.
Plus loin, la tête est tombée sur le sol.
Ils ont remis la tête dans le sac.
Plus loin, la tête est encore tombée,
Ils ont doublé le sac avec un autre sac plus épais.
Mais la tête est tombée quand même.
Il faut dire qu’ils emportaient la tête pour la montrer aux autres.
Ils n’ont plus mis la tête dans le sac.
Ils l’ont laissée au milieu du chemin.
Ils sont partis.
La tête a roulé derrière eux.
Ils ont traversé le fleuve.
Mais la tête les a suivis.
Ils ont grimpé dans un bacoupariseiro chargé de fruits,
pour voir si la tête les dépasserait.
La tête s’est arrêtée au pied de l’arbre
et leur a demandé des fruits.
Les hommes ont alors secoué l’arbre.
La tête est allée chercher les fruits.
Puis elle en a mangé davantage.
Les hommes ont alors secoué l’arbre de manière
à faire tomber les fruits dans l’eau.
La tête a dit qu’elle ne pouvait pas les chercher là.
Les hommes ont alors jeté des fruits au loin, pour écarter
la tête et leur permettre de s’en aller.
Pendant que la tête allait chercher les fruits,
les hommes sont descendus de l’arbre et sont partis.
La tête est revenue, a regardé l’arbre,
n’a vu personne
et a continué de rouler son chemin.
Les hommes étaient restés à attendre
pour voir si la tête arrivait derrière eux.
Ils ont vu la tête venir en roulant.
Ils ont couru.
Ils ont gagné leur hutte, ont dit aux autres que la tête
arrivait en roulant et qu’il fallait fermer la porte.
Toutes les huttes se sont fermées.
La tête, une fois arrivée, a ordonné d’ouvrir les portes.
Les maîtres ne les ont pas ouvertes parce qu’ils avaient peur. […]
Alors elle a pensé et elle a dit : « Je vais être lune. »
Elle a crié : « Ouvrez les portes, je veux emporter mes affaires. »
Ils n’ont pas ouvert.
La tête a pleuré. Elle a crié : « Donnez-moi au moins
mes deux pelotes de fil. »
On lui a jeté les deux pelotes par un trou.
Elle les a prises et les a lancées vers le ciel.
Elle a demandé encore qu’on lui jette une petite baguette
pour enrouler le fil et lui permettre de s’élever.
Alors elle a dit : « Je peux monter, je pars au ciel. »
Elle s’est mise à monter.
Les hommes ont tout de suite ouvert les portes.
La tête allait toujours montant.
Les hommes ont crié : « Tu t’en vas au ciel, tête ? »
Elle n’a pas répondu.
En arrivant au Soleil, tout de suite elle s’est
transformée en Lune.
Vers le soir, la Lune était blanche, toute jolie.
Et les hommes sont restés ébahis :
c’était la tête qui s’était transformée en Lune.
Cité dans Joseph Ki-Zerbo, Compagnons du soleil, Anthologie des grands textes de l’humanité sur les rapports entre l’homme et la Nature, Paris, Éditions La Découverte et UNESCO, 1992, p. 283-285.