Une histoire bien bizarre à Montréal
Il y a une foule de supplices raffinés : celui du pal, par exemple, où un homme est embroché aussi agréablement qu’un poulet ; celui de la cangue, lourd carcan de bois que les Chinois font porter aux criminels ; et une multitude d’autres, non moins rafraîchissants et délicieux.
On a, quelquefois, enfermé des femmes avec des chats, dans des sacs bien cousus ; et, aux temps anciens, on prenait un vif plaisir à mettre en tête-à-tête des prisonniers de guerre et des fauves.
Il appartenait à un Canadien français de découvrir un supplice nouveau et raffiné. Un monsieur, dont nous tairons le nom, s’étant pris de querelle avec quelqu’un dont la binette lui déplaisait évidemment, n’a trouvé rien des mieux à faire, pour lui témoigner le déplaisir sus-dit, que de l’enfermer dans une glacière.
Dans cette glacière, il y avait toutes sortes de choses : plusieurs bœufs (par quartiers), des têtes de veaux (sans les veaux), des queues de vache, des cervelles de mouton et, enfin, tout ce qui peut se rencontrer dans la glacière d’un étal de boucher de premier choix.
Notre homme, en entrant, trébucha sur la carcasse d’un chevreuil ; un pas plus loin, il tomba entre les bras (je veux dire les pattes) d’un lièvre.
Un porc lui tendait les siens, mais il sut éviter l’accolade, et il s’assit mélancoliquement sur un baril de petits poissons blancs, venus du bas du fleuve, qui frétillaient encore.
Un poulet gelé lui frôla la joue ; il se pencha pour l’éviter, et vint donner du nez sur une superbe dinde de douze livres.
Lassé de ces caresses répétées des hôtes de l’endroit, il prit le parti de ne plus bouger.
On ne sait s’il aurait pris en glace, s’il aurait mangé le lapin, son voisin, ni quels discours il aurait tenu à toutes ces innocentes victimes de l’appétit des hommes… La porte fut ouverte et la liberté lui fut rendue au moment où il se préparait à entamer de sérieuses réflexions.
Il dit adieu à tous ses amis de la glacière, et s’en alla porter plainte contre celui qui l’avait ainsi enfermé dans l’abondance et le froid.
En cour du recorder, il a été jugé que cet entretien prolongé et forcé avec les volailles du boucher valait bien la peine que ce dernier payât $5.00 d’amende.
La Patrie (Montréal), 16 janvier 1908.