Retour sur Roger Caillois (1913-1978) et ses pierres
Ce sociologue français au parcours étonnant a publié de nombreux ouvrages. Ses deux premiers, parus durant les années 1930 — Le Mythe et l’Homme, L’Homme et le Sacré — sont ceux qui l’ont fait vraiment connaître. Personnellement, ses trois livres sur les pierres me fascinent. Depuis ce temps, je ne regarde plus les pierres de la même façon, j’ai plein de considération pour elles, qu’importe leur format, leur grosseur, leur allure. Je leur trouve une grande beauté.
Dans son ouvrage, Le Fleuve Alphée, paru l’année de son décès, Caillois commente le parcours de sa vie. Il dit avoir été sauvé par la première phase de son cheminement, « celui de mon enfance ». Il trouvait, entre autres, une complicité silencieuse dans « la dangereuse, somptueuse et indistincte condition végétale ».
Et les pierres donc, les pierres. Voici comment il y revient.
Élargissant sans cesse le cercle d’une solidarité qui me diluait au plus lointain de moi-même, j’en vins à rencontrer dans les pierres la récompense souhaitée. Elles se révélèrent peu à peu comme un album gigantesque. Situées à l’extrême de la taciturnité, elles étaient placées du même coup aux antipodes de l’homme et de la pensée. Je les devinais contenir en leur masse impassible et perdurable la totalité des transformations possibles de la matière, sans rien en exclure, ni même la sensibilité, l’intelligence, l’imagination.
En même temps, muettes absolues, elles me paraissaient narguer les livres et délivrer un message hors du temps. Je n’ajoute qu’une foi relative à ces divagations, qui sont rêveries. Au moins m’auront-elles, sinon affranchi de la bulle, du moins accordé de prendre à son endroit la distance indispensable, elles m’ont, en tous cas, permis de temps en temps de goûter une brève et tranquille allégresse, qui réconforte.
Pierres, archives suprêmes, qui ne portez aucun texte et qui ne donnez rien à lire…
Roger Caillois, Le fleuve Alphée, Paris, Éditions Gallimard nrf, 1978, p. 86.
Vous trouverez ici neuf billets sur Roger Caillois, dont le plupart sur les pierres.