Un billet étonnant sur un métier dont on parle très rarement dans la presse d’hier. Et avec des grandes vérités bien formulées
Une gaffe d’Octave Mirbeau mène à ce propos repris dans un quotidien montréalais.
C’est un curieux incident de la vie artistique que celui qui nous a valu ces jours-ci la très courageuse amende honorable de M. Octave Mirbeau. Cet écrivain avait autrefois dirigé un article virulent contre les comédiens. Il ne réclamait pas qu’on les mit hors l’Église, comme au temps jadis ; mais il les mettait sans pitié au bas du royaume de l’intelligence. Vous n’êtes que des instruments ! leur disait-il. Un peu plus et il les traitait de phonographes !
À quoi les comédiens auraient pu répondre avec autant d’humilité que d’esprit :
Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut.
Ne crée pas qui veut, en effet ; et puis, tout étant dans tout, il n’y a pas, au bout du compte, plus de mérite à composer un chef-d’œuvre littéraire qu’à façonner un corset ou une paire de chaussures.
L’excommunication de M. Mirbeau était donc profondément injuste. Il l’a proclamé lui-même avec une sincérité qui fait honneur à son caractère et l’incident est désormais clos. Êtes-vous satisfaites, ombres de Talma et de Frédérick Lemaître ?
Tout contribue, d’ailleurs, à faire tomber le préjugé dont les comédiens furent longtemps victimes. La plupart d’entre eux sont devenus des bourgeois réguliers payant leurs fournisseurs, se couchant tous les soirs dès que leurs occupations le leur permettent et votant aussi bien que M. Tout-le-Monde.
Les actrices elles-mêmes, les actrices à qui le monde semble tolérer avec indulgence des fantaisies qui font perdre aux autres femmes tous les bénéfices quotidiens d’une bonne renommée, mènent de nos jours une existence qui n’a rien d’orageux. Et il importe de se souvenir du mot de ce pensionnaire d’un théâtre subventionné qui disait à ses camarades : — N’oublions pas que nous sommes des fonctionnaires !
Sans compter que Molière et Shakespeare furent quelque peu comédiens en leur temps, que M. Paul Mounet est médecin, que tel autre cabot notoire licencié en droit, et que Mme Sarah Bernhardt s’est illustrée dans tous les arts. Si ceux-là n’étaient que des instruments, comme l’écrivait autrefois M. Mirbeau, il serait souverainement injuste de ne pas les comparer à des orgues.
GRIFF.
Le Canada (Montréal), 2 juillet 1903