On trouve vraiment de tout chez les bouquinistes
Même du François Villon (1431-après 1463), poète français. Sur sa page Wikipédia, on dit que ce texte-ci est « destiné à ses amis et compagnons de débauche et fourmille d’allusions et de sous-entendus aujourd’hui indéchiffrables mais qui à coup sûr devaient beaucoup faire rire ses camarades ».
L’an mil quatre cens cinquante six,
Je, François Villon, escollier,
Considerant, de sens rassis,
Le frain aux dens, franc au collier,
Qu’on doit ses œuvres conseillier
Comme Vegece le raconte,
Sage rommain, grant conseillier,
Ou autrement on se mesconte…
En ce temps que j’ay dit devant,
Sur le Noël, morte saison,
Que les loups se vivent de vent
Et qu’on se tient en sa maison,
Pour le frimas, pres du tison,
Me vint le vouloir de briser
La tres amoureuse prison
Qui souloit mon cher cuer debriser.
Je le feis en telle façon,
Voyant Celle devant mes yeulx
Consentant a ma desfaçon,
Sans ce que ja luy en fust mieulx ;
Dont je me dueil et plains aux cieulx,
En requerant d’elle vengence
A tous les dieux venerieux,
Et du grief d’amours allegence.
Et se jays prins en ma faveur
Ces doulx regars et beaux semblans
De tres decevante saveur
Me trespersans jusques aux flans,
Bien ilz ont vers moy les piez blans
Et me faillent au grand besoing.
Planter me fault autres complans
Et frapper en ung autre coing.
Le regart de Celle m a prins
Qui m’a esté felonne et dure :
Sans ce qu’en riens aye mesprins,
Veult et ordonne que j’endure
La mort, et que plus je ne dure;
Si n’y voy secours que fouïr.
Rompre veult la vive souldure,
Sans mes piteux regretz ouïr !
Pour obvier a ces dangiers,
Mon mieulx est, je croy, de partir
Adieu ! je m’en vois a Angiers :
Puisqu’el ne me veult impartir
Sa grace, il me convient partir,
Par elle meurs, les membres sains ;
Au fort je suis amant martir
Du nombre des amoureux sains.
Combien que le depart me soit
Dur, si faut-il que je m’eslongue :
Comme mon povre sens conçoit,
Autre que moy est en quelongue,
Donc onc soret de Boulogne
Ne fut plus alteré d’umeur.
C’est pour moy piteuse besongne :
Dieu en vueille ouïr ma clameur !
Villon (œuvres), Paris, Gibert Jeune, Librairie d’amateurs, 1951. Illustrations de Dubout, p. 1-3.
L’illustration ci-haut accompagne ce texte de Villon.