« L’école du village »
Il faudra bien un jour passer le râteau dans la production de nos premiers écrivains au Québec pour en extraire les textes trempés dans l’eau bénite et conserver les autres qui méritent de l’être pour la suite du monde.
En voici un exemple de l’écrivain Napoléon Legendre (1841-1907) tout à fait défendable encore aujourd’hui.
L’école du village
Au jardin, sur les feuilles vertes,
Le soleil peint ses vifs décors
Et, par les fenêtres ouvertes,
L’air tiède arrive du dehors.
Ici, tout près dans le bocage,
La voix criarde des pinsons
Vient mêler son bruyant ramage
Au sourd murmure des leçons.
Assis dans la salle, immobiles
Sur leurs bancs durs et sans appuis
Les pauvres écoliers, dociles,
Penchent leurs regards alanguis.
Les uns épellent le mystère
Étrange de leur A. B. C.
D’autres rêvent sur la grammaire
Qu’ils bredouillent d’un ton lassé.
Tous ont la figure pensive
Et sérieuse des chercheurs ;
Cependant qu’une mouche arrive,
Les yeux s’allument de lueurs.
Malgré l’attrait du syllabaire
Et les subjonctifs séduisants
La mouche a suffi pour distraire
Ces graves têtes de dix ans.
On s’entre regarde on s’agite
On parle ; le maître, qui lit,
Frappe avec sa règle ; de suite
Le silence se rétablit.
Les petits reprennent l’ouvrage
En regardant l’heure courir ;
Ils attendent, oiseaux en cage,
Qu’on leur permette de sortir.
Napoléon Legendre, Les perce-neige, Premières poésies, Québec, C. Darveau, 1886, p. 45-47.
À l’occasion, on dirait du Jacques Prévert, plusieurs années avant l’écrivain français. Rappelez-vous.
Merci à mon bouquiniste Bernard.
On trouvera ici quelques billets sur Legendre.
La photographie de Napoléon Legendre, prise dans les studios Livernois à Québec vers 1890, est déposée à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec, Fonds J. E. Livernois Ltée, Portraits et autres photos-reportages, cote : P560,S2,D1,P694.
Un moment je me suis revue à la « petite école »… Ce fut de très belles années, entre septembre 1962 et juin 1966. Une autre époque que celle de Napoléon Legendre, mais une ambiance tout aussi bucolique et charmante dans mon souvenir.
J’ai vécu moi de même une bien belle école primaire, mais au cœur de la ville dans mon cas.
C’est étonnant comme cette poésie est vivante et semble libre, plutôt adopter le parti de la liberté. Merci Jean de sauver cet auteur et ce poème de l’oubli.
4 avril 2017.
J’aime beaucoup ce Napoléon Legendre, chère Marie-Andrée. Merci de ce mot.