Le Clézio sur les mouches
Un jour, dans un de ses livres bien zen, J. M. G. Le Clézio s’est arrêté aux mouches.
Elles sont drôles et émouvantes, les choses, les choses légères, petites, fragiles ! Partout sont les tableaux très fins, ornés de mouches, d’abeilles, de feuilles minuscules, de baies délicates.
La vie tremble, parfois on la croirait prête à s’éteindre, comme une flamme de bougie qui vacille. Les choses sont si légères ! Elles sont si petites, la bourrasque peut les emporter à jamais, les balayer jusqu’à la mer, jusqu’au néant !
Les mouches, par exemple : quoi de plus fin, de plus joli que ces pattes, ces ailes longues et translucides, si délicatement innervées ? Ah, il faudrait parler beaucoup des mouches, de tout ce qu’elles ont de remarquable, de leur forme si minutieuse et précise, de leur vie si rapide, si éphémère, de leurs habitudes si subtiles. Il faudrait regarder longuement leur vol, dans les cuisines sombres de la campagne, sous les lourdes solives. Mouches marchant sur les vitres, avant l’hiver, mouches à demi aveugles se cognant contre les abat-jour, mouches ivres, mouches guerrières, mouches amoureuses !
Mais rien n’égalerait le dessin très fin de leurs pattes et de leurs ailes transparentes, ni la légèreté acrobatique de leur vol. Elles sont déjà dans la légende, signes décoratifs sur les vases et les flacons, signes peints sur les murs clairs.
Tous les dessins légers et rapides de cette vie drôle, coups du cœur accélérés, pouls battant, respiration haletante,
Minutes, secondes, centièmes, millièmes de secondes, du temps réel, poussières, poudre, pollen, fractions de matière dansant dans les rayons de la lumière. La vie n’est pas tragique, n’est pas solennelle; elle est aussi dans ces signes minuscules.
J. M. G. Le Clézio, L’inconnu sur la terre, Paris, Éditions Gallimard, 1978.
P. S. Êtes-vous déjà allé dans une maison de campagne, l’hiver, où l’occupant ne fait pas violence aux quelques mouches qui s’y trouvent ? Elles viennent du temps de l’été et leur vie est fort courte, que quelques jours encore. La chaleur les active. Elles se tiennent dans les fenêtres du côté du soleil. Pourquoi les mettre dehors par temps froid ou carrément les abattre ? Il ne leur reste plus que bien peu de temps.
Ci-haut : deux mouches dans la Chicorée sauvage.