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On trouve de tout chez les bouquinistes

Comment un ouvrage comme celui-ci a pu être largué pour m’être donné pour à peu près rien ? Je vois pourquoi : la carte d’emprunt en troisième de couverture dit qu’il n’a attiré que deux personnes en plus de 25 ans à la bibliothèque du séminaire Saint-Augustin à Cap-Rouge. Autant s’en détacher et le laisser au sort d’une bouteille à la mer. Et me voici le chanceux.

J’adore Alphonse Piché (1917-1998), c’est un frère de ma race, celle des chiens pas de médaille, venus d’un milieu bien modeste. Il a cependant la déprime plus facile que moi. Chose certaine, il permet de se sentir moins seul quand la solitude pèse. Ses mots deviennent un baume.

Voici, échappées, quelques lignes d’un ami, que je n’ai jamais rencontré autrement que dans ses mots.

Frisson

 Les formes nouvelles

Modulent le prélude

Du chant originel…

 

* * * 

L’arbre

 Il est doux à l’esprit absent des vains travaux

De contempler un arbre oublié de l’Utile,

Majestueux et fort, s’élevant de la ville

Où peine tout un monde épris de son fardeau.

 

Des asphaltes souillés arrachant sa survie,

Il propose à l’artiste accablé de soucis

Le pont de ses rameaux tendus aux infinis,

Ainsi qu’un rêve immense émergeant de la vie.

 

* * *

Chanson

À R. L.

 Vous êtes, Mon Amour, la Dame d’un empire

Dont l’éternel soleil abolit les saisons;

Vous êtes l’or, l’encens, le granit, le porphyre,

L’orgueil inespéré qui fuit ma cargaison.

 

Vous êtes l’oasis, la voile du navire,

L’épave survenue à l’ultime oraison;

La main que presse encor l’agonie en délire,

L’espérance sans fin par delà l’horizon.

 

Ah ! poser en vos lieux ma longue lassitude;

Ma raison immolée à vos béatitudes,

Abreuver à vos puits l’idéal de mes fleurs !

 

Mais, hélas ! où trouver le philtre magnétique

Qui ferait se confondre, en un accord mystique,

La clarté de vos ciels et les nuits de mon cœur !

 

* * *

Union

 Selon d’obscures lois qui cerclent nos destins

Et dressent sur nos pas les barreaux de la cage,

Nous irons, mon Amie, défiant le naufrage,

Accoupler dans l’amour nos âmes et nos seins.

 

Dociles au métier, sublimes mannequins,

Pour que se perpétue l’humaine tragédie,

Nous abandonnerons aux mortes harmonies

Les échos rejaillis de nos rythmes divins

 

Acheminés ainsi vers les secrets charniers

Qui régissent l’alcôve illusoire et douteuse

Où veille, par la nuit, le néant familier,

 

Nous sentirons parfois, rançon de notre zèle,

Éclore et s’élever, magique et radieuse,

Du brasier de nos chairs une aurore nouvelle.

 

Alphonse Piché, Poèmes 1946-1950, Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 1966.

Apparaissent ici mon coup de chapeau à cet homme au mille et un métiers, et son hommage à François Villon.

Oui, on trouve de tout chez les bouquinistes. Dix jours après le grand Attila Jozsef, ce petit ouvrage de 106 pages d’Alphonse lui-même.

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