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Retour immédiat au grand poète hongrois Attila Jozsef

Après 6 773 billets, nous n’avons vraiment pas abusé de ce cher Jozsef. Pourquoi ne pas y aller de deux billets consécutifs ?

Après les deux poèmes d’hier, en voici deux nouveaux :

 

 

 

 

Berceuse

Le ciel ferme ses grands yeux bleus,

La maison ferme tous ses yeux,

Le pré dort sous son édredon,

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Sur ses pattes la mouche a mis

Sa tête et dort. La guêpe aussi,

Avec elles dort leur bourdon.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Le tramway dort doucement

Endormi sur son roulement,

Dans nos rêves, il sonne à tâtons.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Sur la chaise la veste dort

Et son accroc dort corps à corps.

Il n’en deviendra pas plus long.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

La balle est vaincue, le sifflet

Somnole comme la forêt.

Et même il dort le gros bonbon.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Tu auras l’espace et la terre

Comme tu as ta bille en verre.

Tu seras géant pour de bon.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

Tu seras pilote et soldat,

Berger des fauves tu seras.

Ta maman dort et sa chanson.

Endors-toi, mon petit garçon.

 

(1936)

Adaptation de Guillevic

 

* * *

Tu as refait de moi cet enfant…

 

Tu as refait de moi cet enfant que les traces

De trente hivers mauvais en vain montrent grandi.

Je ne peux pas aller, rester. Quoi que je fasse,

Malgré moi c’est vers toi que je me vois conduit.

 

Je te tiens, je veux fuir comme la chienne emporte

Son petit dans ses dents. J’ai peur d’être étranglé.

À chaque instant je suis giflé par la cohorte

Des années où j’ai vu mon destin se briser.

 

Nourris-moi car j’ai faim, borde-moi car je gèle,

Vois comme je suis bête. Occupe-toi de moi.

Ton absence est un courant d’air qui me flagelle.

La peur me quittera si tu lui parles, toi.

 

Quand tu m’as regardé, ma vie fut une fable,

Quand tu m’as écouté, j’ai vu les mots tarir.

Fais que je ne sois plus cet homme inexorable,

Que je sache tout seul comment vivre et mourir.

 

J’ai dormi sur le seuil, repoussé par ma mère.

J’ai voulu me cacher en moi-même, insensé.

Sur moi rien que le vide et sous moi que la pierre.

Dormir ! C’est à ta porte que je viens frapper.

 

Sais-tu qu’il y en a qui pleurent en silence

Et qui sont cependant aussi durs que je suis.

Vois : pour toi mon amour est de telle puissance

Qu’avec toi maintenant je peux m’aimer aussi.

 

(1936)

Adaptation de Guillevic

Ma belle amie Melinda, de Hongrie, fille de la belle Maria, m’envoie ce dernier poème livré en hongrois par l’acteur Zoltan Latinovits, Tu as refait de moi cet enfant… Elle précise la voix de ce récitant lui semble être celle d’Attila.

 

Attila Jozsef, Poèmes choisis (adapté du hongrois), Paris et Budapest, Les Éditeurs Français Réunis, 1961. Préface de Guillevic.

Question. Comment donc cet ouvrage des poèmes d’Attila Jozsef, publié en même temps à Budapest et à Paris en 1961, s’est retrouvé à Québec ? Qui ici pouvait connaître alors ce grand poète hongrois ? On dit qu’environ 200 000 Hongrois ont quitté leur pays après l’invasion de la Hongrie par l’URSS en 1956. Quelques milliers ont gagné le Québec. Qui sait, peut-être que cet ouvrage fut commandé chez un libraire d’ici par l’un d’entre eux au moment de sa parution ? Moi-même, je viens de le trouver, comme une bouteille à la mer, chez un de mes bouquinistes. Et ce bouquiniste Bernard me dit que, si son souvenir est bon, le livre proviendrait de la bibliothèque du collège Saint-Laurent à Montréal; mais on n’y trouve aucune forme de tampon le confirmant.

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