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Un immense poète hongrois

Les Hongrois, d’un pays de bientôt dix millions d’habitants, sont un peuple de grande littérature. Et, chez eux, qui a seulement quelques années d’école a entendu parler d’Attila Jozsef. Et chaque personne aimerait le prendre dans ses bras. Comment donc vous parler de cet enfant ?

Pauvre, de parents pauvres, il est né avec le siècle — 1905— sous la fumée des manufactures et la suie des locomotives. En 1907, le chômage industriel prend des proportions extraordinaires et l’émigration atteint son point culminant. Son père quitte sa famille avec l’intention d’émigrer en Amérique. Sa mère, restée seule, fait des travaux d’occasion pour subvenir à l’entretien de ses trois enfants. En 1910, l’Assistance Publique confie Jozsef à des parents adoptifs et il entre à l’école primaire dans un village.

Rapidement, il découvre que le bonheur de vivre est dans l’écriture. Et, toute sa courte vie, il aurait tant aimé que cela lui rapporte juste un peu d’argent. Le 3 décembre 1937, à 32 ans, il se jette sous un train à Balaton-szarszo.

Deux extraits du seul recueil en français que je connaisse des textes de ce grand poète :

On dit

 Je naquis un couteau dans la main. On s’étonne,

On dit que ce sont là des mots…

Puis, je pris une plume : encor mieux qu’un couteau !

Je naquis pour devenir homme.

 

Si la fidélité errante pleure en toi,

On dit que tu es amoureux.

Tendresse, aux yeux mouillés, sans crainte enlace-moi !

Simplement, nous jouons, tous deux…

 

Je me souviens de tout, mais en moi tout s’efface.

On dit : «Comment se peut-il faire ?»

Ce qui choit de ma main, au sol qui le ramasse ?

Si ce n’est moi, c’est toi mon frère.

 

La terre m’emprisonne et la mer me déchire.

On me dit «Un jour, tu mourras.»

Mais que de choses ici-bas, l’on entend dire !

J’écoute, mais ne réponds pas.

 

(1936)

Adaptation de Jean Rousselot

 

* * *

Cette belle femme de jadis 

Cette belle femme de jadis, je voudrais la revoir.

En elle trouvaient refuge la tendresse et la grâce.

Lorsque nous nous promenions dans la campagne tous les trois,

Elle marchait légère, dans la boue, joyeuse et grave

Et, malgré moi, je frissonnais à son moindre regard.

Cette belle femme de jadis, je voudrais ne l’aimer

Plus, mais seulement — pas davantage — la regarder,

La voir rêveuse dans le jardin, assise au soleil,

Tenant encore un livre dans sa main, fermé comme elle,

Le feuillage autour murmurant avec le vent d’automne,

Je la verrais sous la tonnelle hésiter longuement comme

Si quelqu’idée était venue à son esprit soudain.

Après un long regard autour d’elle, elle partirait,

Prendrait la route que lui cache la haie du jardin,

La route qui va la mener jusqu’à des lointains clairs

Et lui diraient des mots d’adieu les arbres qui la bordent.

Je voudrais la revoir comme un enfant sa mère morte,

Cette belle femme de jadis qui va vers la lumière.

 

(1936)

Adaptation de Jacques Gaucheron

 

Attila Jozsef, Poèmes choisis (adapté du hongrois), Paris et Budapest, Les Éditeurs Français Réunis, 1961. Préface de Guillevic.

Voir cet autre billet sur Attila Jozsef.

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