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«Les chiens raisonnent-ils ?»

J’aime beaucoup la revue parisienne La Nature, absorbée par La Recherche en 1972. À l’occasion, même au 19e siècle, on y propose des réflexions très début 21e siècle. Comme celle-ci. Et on ouvre des colonnes à des propos très originaux. Ainsi ce billet d‘un anonyme sur la capacité de raisonner des chiens. Nous sommes en 1885. Le texte est long, nous ne pourrons le livrer au complet.

Je me suis posé cette question en lisant dernièrement qu’un chien s’est présenté à l’hôpital de Charing-Cross, afin de faire panser sa patte qu’une voiture venait de lui écraser.

Les personnes qui considèrent que les plus hautes qualités de raisonnement sont le partage exclusif de l’homme, vont sans doute me répondre négativement à leur grande satisfaction, mais un peu de réflexion les conduirait peut-être à une autre conclusion. Personnellement je répondrai immédiatement en me prononçant presque pour l’affirmative, car si les chiens ne possèdent pas la faculté de raisonner, il ont au moins le don d’associer des idées afin d’arriver aux même conclusions. […]

 I. — Il y a quelques années, j’étais avec un de mes élèves dans un bureau de tramways, lorsqu’un grand retriever épagneul noir vint derrière moi, frotta son nez sur ma main, me regarda avec des yeux intelligents en remuant la queue et enfin mit sa patte dans ma main. Regardant le chien : «Qu’y a-t-il pour ton service, mon vieux camarade ?» Mon élève se retournant alors me dit tout à coup : «Ne reconnaissez-vous pas ce chien, Monsieur ? C’est le même qui eut la patte si affreusement écrasée il y a quelque temps, vous lui avez ôté deux ongles broyés et vous l’avez pansé vous-même.» Un examen rapide me prouva la vérité du fait, et lorsque je lui eus caressé la tête, le beau chien s’en alla en montrant les plus grands signes de joie, vers son maître M. S…, qui se tenait un peu plus loin et nous regardait avec étonnement. […] 

III. — J’ai également eu un terrier croisé, qui souffrait d’une cruelle maladie à la surface du ventre, j’appliquais sur la partie malade du nitrate d’argent et, pour ce faire, je mettais le chien sur le dos les quatre pattes en l’air. Après deux ou trois séances, le chien se mettait de lui-même sur le dos dès qu’il me voyait arriver, le nitrate d’argent à la main, et cependant l’application était fort douloureuse.

IV. — Un chien appartenant à M. H… souffrait d’un rhumatisme dans une patte. Pour le soulager, j’ordonnais chaque soir l’application d’un liniment. Après le premier pansement, le chien, trouvant le remède efficace, se couchait sur le côté afin de se faire soigner; or, un soir, on s’aperçut que la fiole de liniment était épuisée, le chien voyant qu’on ne s’occupait pas de lui, témoigna si clairement son désir que son maître finit par prendre la fiole vide et frotta la patte de l’animal comme il avait l’habitude de le faire. Cela satisfit le chien qui s’endormit très content.

V. — Pendant plusieurs années, j’ai possédé un énorme terre-neuve qui répondait au nom de Friend (ami); voici un de ses actes. J’habitais le collège et, comme les portes donnaient sur des bâtiments de servitude, j’avais pris l’habitude d’examiner chaque soir si elles étaient bien fermées. Pendant que j’accomplissais la fonction que je m’étais imposée, le chien me suivait gravement; puis, lorsque la grande porte fut fermée, je caressais la tête du chien qui me regardait avec intelligence comme pour me dire qu’il gardait la maison et se couchait sur le paillasson d’entrée. Je m’absentai une fois. Quelle ne fut pas l’étonnement des professeurs qui virent, à l’heure du coucher, le chien marcher gravement de porte en porte comme pour en examiner la fermeture, puis aller dans chaque chambre examiner soigneusement les meubles, se traîner sous les lits, puis aller se coucher. Chaque fois que j’étais absent, il ne négligea jamais cette précaution. […]

De tels faits prouvent à mon avis que les chiens ont, pour les guider, une faculté plus haute que leur seul instinct et je ne vois aucun bon motif pour dénier à cet animal cette attribution dont l’homme est si fier : la raison.

X…

 

La Nature (Paris), tome 25 (1885), p. 214s.

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